Ukraine

La collection de sifflets d’Ukraine comporte cinquante-six sifflets principalement collectés dans la première moitié du xxe siècle.

Une première collection de vingt-neuf sifflets d’Ukraine a été donnée par Alexandre Orlowski. Cette collection a été envoyée de Pologne en 1937 (coll. DMH1937.60 et DMH1937.70). Une collection du MNATP donnée en 1956 par l’héritière du Dr Frogier (coll. 1956.126) et rassemblée par ce dernier dans les années 1930 comprend dix-neuf sifflets pouvant être attribués à l’Ukraine. Sophie Jablonska Oudin a fait don en 1939 d’un sifflet (DMH1939.107.3) acheté avec quelques réalisations d’écoles d’art appliqué en Ukraine.

La production actuelle est représentée par une série de six sifflets en forme de poule rapportés de Kiev par M. de Lumley et donnés au musée de l’Homme en 1995 (coll. DMH1995.22).

Un dernier sifflet (DMH1995.26.691) est entré dans les collections dans un ensemble de près de huit cents objets d'art populaire soviétique collectés par Lydia Delectorskaya.

Compte tenu des modifications de frontière au xxe siècle, il n’est pas toujours possible de connaître la provenance des sifflets de la collection du MuCEM. C’est en particulier le cas pour vingt-trois d’entre eux, donnés par Alexandre Orlowski en 19371. Ces sifflets moulés et peints en forme de jeune fille, de cavalier ou d’animal sont très proches de la production vendue en Pologne à Varsovie ou Cracovie, ou autour des lieux de pèlerinage polonais. Le donateur indique uniquement pour cet envoi : « Volhynie ». Cette province était alors rattachée à la Pologne. Aujourd’hui, elle est en majeure partie rattachée à l’Ukraine à l’exception de la partie occidentale de la Volhynie, qui est située en Pologne, tandis que la partie nord se trouve en Biélorussie. Dans ce catalogue, en raison de l’absence de données fiables, il a été choisi d’attribuer ces sifflets à l’Ukraine même si leur typologie les rapproche de la production polonaise.

Deux autres sifflets posent problème. Portant les numéros 1956.126.156 et 1956.126.157, ils proviennent d’une collection constituée dans les années 1920-1930 par le Dr Frogier. Ils sont entrés dans la collection du MNATP sans attribution. Faute de pièce de comparaison dans la bibliographie, il a été choisi de ne pas proposer ici d’attribution précise. Cela dit, la collection donnée par le Dr Frogier comporte de nombreux sifflets de l’oblast de Poltava, aussi est-il possible que ces deux sifflets proviennent de cette même région.

L’histoire

De nombreuses figurines zoomorphes ou anthropomorphes datant de la préhistoire ont été découvertes en Ukraine. Leur forme a souvent été rapprochée de celle des jouets et sifflets en terre cuite modernes, mais il ne s’agit pas, à cette époque, de sifflets.

Plusieurs fragments de cavaliers ou de coqs datés du xexie siècle qui ont été mis au jour ont une forme proche de celle des sifflets postérieurs mais ce n’est cependant qu’à partir du xviie siècle qu’on retrouve des sifflets intacts2.

À la fin du xixe siècle, l’art populaire ukrainien a été soutenu par un courant visant à sauvegarder la culture nationale. Des écoles d’art se sont alors ouvertes dans de nombreuses localités. Des années 1920 aux années 1950, plusieurs tentatives ont été faites pour concentrer la production des jouets populaires, dont les sifflets, dans des ateliers de production regroupés. Ces efforts furent un échec et la production connut un déclin important. Dans la deuxième moitié du xxe siècle, l’aspect décoratif de ces jouets est devenu le critère principal de leur production, au détriment de leur caractère ludique.

Les lieux de production

Les sifflets ont été fabriqués dans toutes les régions historiques d’Ukraine. Plus de sept cents centres potiers étaient encore actifs au début du xxe siècle et il est souvent difficile de localiser précisément les centres de production des sifflets du début du xxe siècle.

En dehors des oblasts d’Ivano-Frankivsk, de Lviv et de Poltava d’où proviennent les sifflets de la collection du MuCEM, cette production était importante autour de Kiev (centres de Dybynstsi et de Vasylkiv), à Ichnia dans l’oblast de Chernigiv, à Gromy (oblast de Cherkasy), dans l’oblast de Podillia (Bar, Bubnivka, Adamivka), à Valky (oblast de Kharkiv), Tsvitne (oblast de Kirovograd) et dans l’oblast de Ternopil (Vyshnivets, Goncharivka)3. Comme on le constate à cette longue énumération, la production de sifflets ukrainienne a été et demeure très vivante.

Les formes

Les formes des sifflets ukrainiens sont variées. Comme dans toute l’Europe de l’Est, les chevaux, les béliers et les coqs ou les poules sont les sujets les plus fréquents. Les cavaliers ont également une place importante dans la production, ainsi que les figurines de femmes portant sous le bras un sifflet en forme d’oiseau – cette dernière forme n’est cependant pas représentée dans la collection du MuCEM.

Oblast d’Ivano-Frankivsk

Bélier, Kosiv, 2008. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ill. 1 : Bélier, Kosiv, 2008.
Coll. particulière. © Pierre Catanès

Les sifflets attribués à cette région ont été donnés par Alexandre Orlowski qui précisait uniquement « Pologne, Houtsoule » et « Stanislav ». Situé dans l’ouest de l’Ukraine, cet oblast entoure la ville d’Ivano-Frankivsk, anciennement Stanislav.

Kosiv et Pistyn sont des centres céramiques très célèbres de cette région, connus particulièrement pour leur poterie en terre vernissée richement décorée de motifs au contour incisé. La production de sifflets y est ancienne et aujourd’hui encore, certains potiers de Kosiv modèlent des sifflets qui reprennent les décors traditionnels (ill. 1).

Kouty

La commune de Kouty fit partie de la Galicie autrichienne puis, après 1918, de la Pologne. Le sifflet DMH1937.60.5 attribué à cette ville a été donné par Alexandre Orlowski avec comme simple précision « Pologne, Houtsoule » et « Stanislav ». Un sifflet identique du musée d’Ethnographie et d’Artisanat de Lviv est attribué à Kouty4, ce qui a permis de préciser cette origine.

Oblast de Lviv

Situé dans l’ouest de l’Ukraine, l’oblast de Lviv, voisin de la Pologne, fait partie de la province historique de la Galicie. Mukolaiv et Stara Sil sont les centres potiers les plus connus pour la fabrication de jouets en terre cuite.

Le sifflet DMH1937.60.10 a été donné par Alexandre Orlowski, qui a accompagné cet envoi des indications « Pologne, Podolie ». La Podolie est une région du centre-ouest de l’Ukraine qui, en 1937, était ukrainienne. Mais un modèle proche de ce sifflet, daté du premier tiers du xxe siècle et conservé au musée d’Ethnographie et d’Artisanat de Lviv, y est attribué à Jovkva, dans l’oblast de Lviv, dans la Volhynie intégrée à la Pologne en 19375. Il a donc été choisi de retenir ici cette attribution à l’oblast de Lviv.

Le deuxième sifflet DMH1939.107.3 attribué à la région de Lviv a été donné par Sophie Jablonska Oudin, qui indiquait avoir acheté cet objet ainsi que trois autres comme des réalisations d’écoles d’art appliqué, qui proviendraient de Pistyn (oblast d’Ivano-Frankivsk). Un sifflet identique à ce coq avec une glaçure verte est conservé au musée d’Ethnographie et d’Artisanat de Lviv. Il est daté de 1931 et attribué à Stara Sil dans l’oblast de Lviv, voisin de celui d’Ivano-Frankivsk. Il a également été choisi de conserver cette attribution.

Oblast de Poltava

Cet oblast est depuis longtemps une des principales régions d’Ukraine pour la production des sifflets.

Le baron de Baÿe décrit le marché de Poltava au début du xxe siècle au moment où tous les paysans céramistes (koustari) de la contrée venaient y apporter leur production :

« L’aspect de cet important marché était des plus curieux ; une place très vaste était littéralement couverte de poteries de toute sorte, de toute couleur : ustensiles de ménage, figurines, encensoirs et, surtout, des sifflets zoomorphes d’une variété infinie. Et, ce qu’il importe de noter, c’est que des sifflets du même genre ont été exhumés de tombeaux des Scythes que les Petits-Russiens pourraient revendiquer comme leurs ancêtres6. »

Une photographie de cet ouvrage présentant la poterie petite-russienne7 comporte de nombreux sifflets zoomorphes, mais sa qualité est médiocre et ne permet pas de les identifier précisément. Contrairement aux nombreux sifflets en terre richement décorés, provenant d’Opishne et datant de la deuxième moitié du xxe siècle, ils sont simplement formés, pour ceux qui représentent des animaux, d’un corps ovoïde allongé avec deux petites pattes à l’avant, comme le sifflet 1956.126.146. Il n’est pas précisé cependant s’ils viennent de Poltava.

Si Opishne est le centre de production de sifflets le plus connu aujourd’hui, il est probable que les potiers d’autres villages ont modelé eux aussi des sifflets. Il est ainsi difficile d’attribuer plus précisément les sifflets anciens de la collection du MuCEM qui viennent de l’ensemble réuni dans les années 1920-1930 par le Dr Frogier (1956.126).

Opishne

Sifflets globulaires, Opishne, 1950-1980. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ill. 2 : Sifflets globulaires, Opishne, 1950-1980. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Le village d’Opishne (ou Opichnia) est un des principaux centres céramiques ukrainiens et accueille aujourd’hui le musée national de la Céramique d’Ukraine. Opishne était dénommé la « capitale de la poterie ». On y produisait, ainsi que dans les villages avoisinants, tous les types de céramique connus en Ukraine, mais la poterie d’Opishne se caractérise particulièrement par la richesse de son décor. Les articles qui y étaient fabriqués étaient vendus dans tout le pays et jusqu’en Bessarabie, dans le Caucase, et par-delà le Don. Au début du xxe siècle, ils arrivaient jusqu’à Saint-Pétersbourg.

En 1930, on ouvrit une manufacture de céramique qui produisait principalement de la vaisselle de table et des pièces décoratives ; à l’heure actuelle, Opishne est toujours renommé pour ses récipients en forme d’animaux et ses jouets en terre cuite.

Dans la deuxième moitié du xxe siècle, de très nombreux sifflets ont été produits dans ce village (ill. 2). Ils sont faits de terre vernissée et décorés de dessins réalisés avec des engobes colorés. Les principaux sujets sont des cavaliers, des boucs, des chèvres, des coqs et des oiseaux portant un oiselet sur chacune de leurs ailes.

La création de jouets en poterie qui comporte de nombreux sifflets est toujours importante à Opishne. La collection DMH1995.22 est représentative de cette production contemporaine.

1 Ces sifflets constituent la majorité de la collection DMH1937.60.

2 Ludmyla Gerus, The Ukrainian folk toy, Lviv, Ed. National Academy of Sciences of Ukraine, the Ethnology Institute, 2004, p. 21-62.

3 S. Najdena, Ukraïns’ka narodna igraška [Jouets populaires ukrainiens], Ukrainian Folk Toy (catalogue du musée national du Jouet d’Ukraine), Kiev, Vidavničij dim Stilos, 2006, p. 46.

4 Ludmyla Gerus, op. cit., p. 194.

5 Ibid., p. 78.

6 Baron de Baÿe, En petite Russie, souvenir d’une mission, Paris, Librairie Nilsson, 1903, p. 18.

7 Ibid., p. 10.