Allemagne

Le seul sifflet en céramique allemand du MuCEM appartient à la collection DMH1938.76 donnée par l’État allemand en 1938.

Sifflets de la région de Brandebourg. © MuCEM

Ill. 1 : Sifflets de la région de Brandebourg. © MuCEM

La production de sifflets en terre cuite a été très abondante en Allemagne. Elle a pourtant peu fait l’objet d’études spécifiques en dehors de celle d’Eleonore Jüngling en 19811.

De nombreux exemples datant de la fin du Moyen Âge attestent de l’ancienneté de la fabrication de sifflets dans ce pays.

Il s’agit d’une production artisanale, en terre vernissée ou non, de sifflets en forme d’oiseau, de chouette, de cochon ou encore de cavalier, réalisée dans de nombreux centres potiers du pays en particulier en Hesse ou dans le Brandebourg, dont seuls de rares exemplaires nous sont parvenus aujourd’hui (ill. 1).


À côté de cette production traditionnelle, des ateliers de poterie ont produit en très grande quantité des sifflets moulés aux formes variées dès le xixe siècle.

Sifflets du Westerwald, fin du XIXe – début du XXe siècle. Coll. particulière © Pierre Catanès

Ill. 2 : Sifflets du Westerwald, fin du xixe – début du xxe siècle.
Coll. particulière. © Pierre Catanès

L’industrie du jouet a été très importante en Allemagne ; une partie de cette production était exportée.

Parmi cette production semi-industrielle, les sifflets moulés en grès bleu du Westerwald voisinent avec les sifflets moulés en « terre à pipe » réalisés dans de petits ateliers de cette même région. Ces sifflets ont de multiples formes (animaux, objets, personnages de contes de fées...) (ill. 2).

On peut aussi attribuer aux ateliers allemands de Thuringe les innombrables sifflets zoomorphes ou anthropomorphes en porcelaine dure, dont une grande quantité était également destinée à l’exportation.

Le sifflet de la collection du MuCEM était vendu à Querfurt en Saxe-Anhalt, et il témoigne d’une très ancienne tradition de cette région où ces objets étaient fabriqués pour le pèlerinage annuel de saint Bruno.

On ne trouve pas d’autres mentions de fêtes associant les Tonpfeifen (« sifflets en terre ») en Allemagne. La production de certains modèles est tellement associée à certains centres potiers qu’ils en sont devenus emblématiques. Ainsi en est-il du Telgte Eule (« chouette de Telgte »), sifflet à eau en forme de hibou produit à Telgte en Westphalie ou du Ochtruper Nachtigall (« rossignol de Ochtrup »), sifflet à eau en forme de pichet au col trilobé fabriqué à Ochtrup dans la même région. Ces deux sifflets perpétuent des formes connues dans cette partie de l’Europe depuis le Moyen Âge.

Saxe-Anhalt

La production de sifflets de cette région est surtout connue à travers les sifflets vendus à Querfurt et fabriqués à Nebra-sur-Unstrut.

Nebra-sur-Unstrut

Le sifflet de la collection du MuCEM a été attribué au centre potier de Nebra-sur-Unstrut dans le Land de Saxe-Anhalt, lieu de production le plus proche de Querfurt où ces sifflets étaient vendus. Cependant, les sifflets vendus à Querfurt étaient aussi fabriqués dans le Land de Thuringe à Bürgel. Ce modèle est donc typique de ces deux centres2.

Ces sifflets étaient réalisés pour le pèlerinage annuel de saint Bruno au Eselswiese (« pré de l’âne »).

Rares sont les sifflets semblables conservés même si leur production a continué jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Les potiers de Nebra-sur-Unstruct en Saxe-Anhalt et de Bürgel en Thuringe vendaient leurs produits à la foire de Querfurt, localité voisine du Land de Saxe-Anhalt à la frontière avec la Thuringe. Il est difficile de savoir duquel de ces centres provient l’exemplaire du MuCEM. Généralement vernissés en vert, leur taille varie de quatorze à vingt centimètres et ils possèdent habituellement, comme l’exemplaire des collections du MuCEM, un sifflet accolé à un sifflet factice3.

Un sifflet similaire, mais de dimension plus réduite, est conservé au musée des Instruments de musique de l’université de Leipzig et daté de la première moitié du xixe siècle. Cependant, ces sifflets traditionnels évoluant peu, il est impossible de dater précisément l’exemplaire du MuCEM en l’absence de source sur son acquisition initiale par le musée de Berlin qui en a fait don au musée de l’Homme.

Un texte écrit en vieil-allemand sur la légende de saint Bruno nous renseigne sur leur origine. Au xe siècle, Bruno de Querfurt (Saxe, vers 974 – Ruthénie, 1009) entendit parler du sort des prêtres chrétiens en Prusse et décida de s’y rendre pour convertir les païens. Il partit le lundi de Pâques sur son âne, accompagné pour son départ de ses frères Burkhardt et Gebhart. En arrivant sur le pré communal de Querfurt où ceux-ci devaient prendre congé, l’âne de Bruno stoppa soudainement et rien ne put le faire bouger. Les frères en conclurent que ce voyage n’obéissait pas à la volonté divine et le persuadèrent de rentrer au château de Querfurt. Repensant dans la nuit à ce qui était arrivé, Bruno émit l’hypothèse que cela était dû à Satan et repartit donc en Prusse où il fut capturé par les païens et mis à mort. En sa mémoire, ses frères bâtirent une chapelle sur le pré communal, là où l’âne s’était arrêté, et appelèrent cette chapelle Eselstatt (die Stätte des Esels : « le lieu de l’âne »). Le pré fut appelé Eselswiese (« le pré de l’âne »).

Chaque année à Pâques, un pèlerinage célébra le saint, et à côté de ce pèlerinage, une foire se développa. Il était de tradition d’y vendre de petits paniers remplis de vaisselle en poterie miniature ainsi que de petits sifflets-cavaliers glaçurés en vert, comme cadeaux pour les enfants. Les cavaliers rappellent le départ de saint Bruno et le panier ses provisions de voyage.

Ces sifflets étaient tellement emblématiques de la ville de Querfurt qu’en 1916, cette ville édita un Notgeld (monnaie d’urgence) de cinquante pfennigs à son effigie (ill. 3 et 4).

Notgeld de Querfurt, 1916.

Ill. 3 : Notgeld de Querfurt, 1916.

Notgeld de Querfurt, 1916 (détail).

Ill. 4 : Notgeld de Querfurt, 1916 (détail).

Sifflet de Querfurt au milieu d’autres jouets allemands. Illustration de Spielzeug. Eine bunte Fibel, Hans-Friedrich Geist, Leipzig, 1938.

Ill. 5 : Sifflet de Querfurt au milieu d’autres jouets allemands. Illustration de Spielzeug. Eine bunte Fibel, Hans-Friedrich Geist, Leipzig, 1938.

Depuis longtemps, le sifflet de Querfurt a été représenté dans les ouvrages sur l’art populaire européen (ill. 5). Bien que les textes ne le disent pas, il est possible que les deux « sifflets » (un sifflet et un sifflet factice) insérés souvent à l’arrière de ces cavaliers aient une dimension symbolique et représentent les deux voies qui s’offraient à saint Bruno. Le sifflet qui fonctionne, à droite, symbolisant la voie divine (le souffle) tandis que le sifflet factice, à gauche, qui renvoie à son utilisateur de la suie au visage pourrait symboliser la voie de Satan.

Ces sifflets factices sont appelés en Allemagne Rußteufel (« diable à suie »), Rußpfeife (« sifflet à suie »), ou Mehlpfeife (« sifflet à farine »).

1 Eleonore Jüngling et Gerd J. Grein, Pfeiffiguren aus Europa, vol. 21 de Sammlung zur Volkskunde in Hessen, Otzberg, Museum im Alten Rathaus, 1981.

2 Annette Schneider, „Der Querfurter Wiesenesel“, Der heilige Brun von Querfurt: eine Reise ins Mittelalter, cat. exp. Querfurt, 2009, p. 152-159.

3 Reinhard Peesch, Volkskunst, Berlin, Akademie-Verlag, 1978, ill. 25.