Île-de-France
Six sifflets de la collection du MuCEM proviennent d’Île-de-France. Il s’agit de pièces datées du xvie siècle. Quatre d’entre eux ayant été trouvés lors de fouilles archéologiques récentes, on peut assurer qu’ils ont été produits à Fosses (Val-d’Oise). Un sifflet a été donné à la fin du xixe siècle par un donateur anonyme. Le dernier a été acheté par le MNATP lors de la vente d’une collection privée.
Les origines de ces sifflets parisiens sont variées : ils proviennent soit de collections anciennes constituées à partir de découvertes du xixe siècle, soit de fouilles archéologiques récentes.
Il est à noter que le sifflet 1888.14.1, de forme simple, est très différent des autres sifflets d’Île-de-France, souvent richement décorés. Cette différence peut s’expliquer par le fait qu’il s’agit sans doute d’un appeau et non d’un jouet comme ceux qui sont retrouvés en fouille. Malgré l’impossibilité d’être affirmatif sur la provenance, faute de pièce de comparaison puisqu’il s’agit d’un don de la fin du xixe siècle, on a conservé ici la mention d’origine « Île-de-France » qui fut celle indiquée à son entrée au Trocadéro.
L’histoire
Le sol parisien a livré de nombreux sifflets en terre cuite. Ceux-ci ont, pour la plupart, été trouvés pendant les grands travaux qui transformèrent Paris au xixe siècle. Bien que leur datation reste toujours imprécise, on sait qu’ils datent, majoritairement, du xvie siècle.
Les bulletins de la Commission du Vieux Paris constituent une mine d’information. Une exposition, réalisée en 1900 par la Commission afin de présenter de nombreux objets recueillis par des particuliers dans le sol de Paris ou dans la Seine, permet de relever quarante spécimens de jouets en céramique « du Moyen Âge » dont des « types très variés de sifflets avec représentations humaines ou d’animaux (oiseaux, chevaux, etc.)1 ».
Ces découvertes se poursuivent régulièrement par la suite. Ainsi, en 1928, on note dans le procès-verbal du 24 novembre 1928 de la Commission : « À l’angle de la rue du Pont-aux-Choux [...] à sept mètres de profondeur, dans un ancien remblai. Il s’agit d’un petit sifflet d’enfant en très bon état, en terre vernissée, vert, mesurant neuf centimètres et demi de haut, représentant un cavalier coiffé et armé, sur son cheval. Les détails de l’habillement, notamment le haut-de-chausses du cavalier, placent ce petit objet, qui est bien traité, comme contemporain de la seconde moitié du xvie siècle2. »
Ou encore, en 1921, à la séance du 29 octobre, le compte rendu des fouilles de la ligne de métro numéro 7 entre la rue du Louvre et la rue des Barres relève : « Au point de vue de la céramique, de nombreux tessons ont été recueillis dans les remblais, mais à part un sifflet d’enfant, en faïence du xvie siècle, en forme d’oiseau, aucun objet entier n’a encore été trouvé3. »
Malheureusement, ces découvertes anciennes ont été pour la plupart dispersées et seules quelques pièces sont entrées dans les musées. C’est le cas des deux sifflets provenant du MET affectés au musée national de la Céramique de Sèvres et au MuCEM, l’un deux ayant malencontreusement été perdu depuis.
Mais un autre problème se pose. Quel était le lieu de production de ces sifflets ? Ainsi, le cavalier décrit en 1928 semble identique aux nombreux sifflets en forme de cavalier produits dans le Beauvaisis au xvie siècle dont la diffusion était très importante.
Les fouilles urbaines plus récentes ont permis de préciser certaines datations. Celles de la cour Napoléon du Louvre ont livré sept sifflets à eau datant de la fin du xive siècle pour le plus ancien, jusqu’au xviiie siècle pour le plus récent4. Cependant, de nouveau, l’origine de ces sifflets est incertaine, celui du xviiie siècle provenant certainement de la Sarthe où cette fabrication était déjà devenue la spécialité de la famille Lapoutoire à Prévelles. S’agissant de productions anciennes, il n’est pas surprenant que tous ces sifflets soient des rossignols. Les sifflets du Moyen Âge et de la Renaissance connus sont en majorité des sifflets à eau.
Il ne faudrait cependant pas en déduire que les sifflets trouvés à Paris venaient tous d’autres provinces. La majorité peuvent être rapprochés de la céramique « parisienne » du xvie siècle. Il s’agit généralement de pièces de formes très variées, richement décorées de motifs pastillés.
Plusieurs sifflets représentent des têtes d’homme (ill. 1). On peut en rapprocher certains d’une série de huit pichets anthropomorphes trouvés à Paris entre 1860 et 1997 et qui ont pu être datés des deux premiers tiers du xvie siècle5. Il faut également les rapprocher des nombreux sifflets anthropomorphes des xve et xvie siècles trouvés dans le sol des Flandres. Il est possible que les potiers parisiens, influencés par cette production, aient adapté ces modèles.
C’est bien à cette période des deux premiers tiers du xvie siècle que se rattachent les sifflets trouvés lors des fouilles des ateliers de potiers de Fosses. La production d’Île-de-France a certainement encore continué au cours du xviie siècle.
Les lieux de production
Il est difficile aujourd’hui, en parcourant l’Île-de-France, d’imaginer que de nombreux ateliers de potiers ont existé dans la région. On y connaît pourtant plusieurs zones de production importantes de céramique : Saint-Denis et Meaux pour la céramique à pâte claire largement vendue à Paris, Dourdan et sa pâte rouge diffusée dans le sud de la région, et enfin Fosses et la vallée de l’Ysieux. Beaucoup d’autres centres demeurent sans doute à découvrir. Compte tenu des riches agglomérations de la région, cette forte présence potière est logique et les productions courantes côtoient souvent les pièces d’exception.
Actuellement, grâce aux découvertes des fouilles de Fosses, seuls les sifflets de ce centre peuvent être attribués avec certitude.
Les formes
La production d’Île-de-France, majoritairement réalisée au xvie siècle, reflète la grande variété des formes des sifflets de cette époque. Les potiers ont rivalisé d’imagination pour ces sifflets destinés à un marché urbain où existait une clientèle aisée ainsi qu’à la noblesse. Zoomorphes ou anthropomorphes, ces sifflets sont souvent richement décorés à l’aide de pastilles d’argile ou d’engobes et émaux de teintes variées.
Les sifflets conservés ne donnent cependant qu’une vision partielle de la production dont la majeure partie était sans doute composée d’oiseaux ou de formes simples, décorés simplement d’ajouts moulés comme en témoignent les sifflets retrouvés à Fosses.
La vente
On peut supposer que la majorité des sifflets d’Île-de-France étaient destinés aux enfants parisiens. La série de sifflets en forme de tête pourraient avoir eu un autre usage. Comme les porte-couverts auxquels ils sont associés, il est difficile de déterminer s’ils émanaient de la fantaisie d’un potier ou bien si ces pièces étaient produites en vue de circonstances spéciales comme les carnavals.
Il existait à Paris la foire Saint-Germain, une des principales foires parisiennes où se vendaient des produits de toutes les régions et de tous pays, et ce durant plusieurs semaines voire plusieurs mois entre carnaval et carême. Paul Scarron (1610-1660) nous en donne en 1643 un témoignage dans son poème dédié à Gaston d’Orléans, « La foire Saint-Germain » : « [...] Le bruit des pénétrans sifflets ; / Des flûtes, et des flageolets, / Des cornets, hauts-bois, et musettes, / Des vendeurs, et des acheteurs, / Se mêle à celui des sauteurs / Et des tambourins à sonnettes, / Des joueurs de Marionnettes / Que le peuple croit enchanteurs. [...] »
Toutes les descriptions de cette foire parlent du concert de sifflets, mirlitons, trompettes... On peut imaginer que quelques-uns des sifflets de terre cuite franciliens y étaient vendus, de même qu’à la foire Saint-Laurent, autre grande foire parisienne qui avait lieu en été.
De nombreuses autres foires se sont tenues à Paris autour de chaque église. À Saint-Étienne-du-Mont, pendant la neuvaine de Sainte-Geneviève, se vendaient des objets de dévotion mais aussi des babioles pour les enfants. On retrouvera plus tard ces « foires aux joujoux » au Pont-Neuf avant qu’elles ne rejoignent les grands boulevards6.
Fosses (Val-d’Oise)
Il n’est pas possible ici de faire la synthèse des fouilles qui se sont déroulées de 1989 à 2001 dans la vallée de l’Ysieux. On se reportera pour cela aux comptes rendus qui en ont été faits par Rémy Guadagnin7. Elles ont permis d’étudier la continuité de l’activité potière dans la même zone du haut Moyen Âge au xviie siècle, ce qui fait de Fosses et des ateliers de la vallée de l’Ysieux un lieu unique pour l’étude de la céramique.
Plusieurs fragments de sifflets ont été trouvés dans un atelier de potier situé à Fosses (atelier 10.10) dans un secteur du centre ville à proximité de l’église. Il s’agit de sifflets tubulaires destinés à être insérés dans le corps globulaire des sifflets à eau, ou encore de motifs zoomorphes moulés qui étaient appliqués pour décorer ces mêmes sifflets. Deux sifflets plus complets (1994.44.413 et 1994.44.414) déposés au musée Archéa de Louvres (Val-d’Oise) sont caractéristiques des deux époques relevées dans cette production.
Le four 10.10, utilisé à la fin du xve siècle et au xvie siècle fut construit au-dessus d’un four du xve siècle, mais le four le plus ancien de ce secteur de production peut être daté du début du xiie siècle. De nombreux tessons des ixe au xie siècle pourraient laisser supposer que l’occupation potière était bien antérieure.
Les sifflets retrouvés datent du xvie siècle. Pendant la première moitié de ce siècle, la fabrication est soignée et les pièces sont engobées et largement glaçurées. Pendant les années 1560 à 1570, les décors sont plus frustes et la glaçure de moindre qualité. Les protomés d’animaux rapportés sont réalisés à partir de moules et servent indifféremment à décorer les sifflets ou les réchauds de table (1994.44.396).
Les plus anciens sifflets sont formés à partir de coupelles tournées dont le haut est refermé en pinçant l’argile et en laissant une ouverture en fente. Cette technique se retrouve sur les autres sifflets découverts à Paris et sur ceux des xve ou xvie siècles provenant des Flandres.
Pour les sifflets de la deuxième période, l’ouverture de remplissage est réalisée en perçant un trou dans la panse.
Un objet atypique a été interprété dans ce catalogue comme étant un sifflet (1994.44.415). De forme ovale, pourvu d’une petite anse supérieure brisée, il était sans doute destiné à être suspendu, car une seule face est décorée d’un motif floral. À son extrémité est inséré un tuyau cassé à la base qui pouvait être un sifflet. Deux trous (de remplissage ?) sont percés en haut des flancs. Aucun sifflet de cette forme n’a été retrouvé permettant de confirmer sa fonction, mais les formes des sifflets de la Renaissance sont si variées que cet usage est possible.
D’après ces fouilles, on peut penser que la production a été importante mais limitée à une période assez courte. Seule la partie inférieure d’un petit sifflet à panse tronconique daté de la première moitié du xviie siècle pourrait laisser penser que cette fabrication a encore perduré après le xvie siècle. Cela confirme les découvertes faites dans Paris où la majorité des sifflets date du xvie siècle mais où des sources historiques indiquent que ces objets étaient encore fabriqués au xviie siècle. Les raisons de cette disparition demeurent inconnues.
L’activité potière s’est déplacée de Fosses au village de Bellefontaine au xviie siècle où elle a perduré jusqu’au xixe siècle, mais nous ne savons pas si des sifflets ont continué à y être produits, ces petits objets n’étant pas mentionnés dans les inventaires après décès. Seules quelques familles de Fosses se sont installées dans ce village et, la fabrication des sifflets étant le plus souvent transmise selon un modèle familial, il est possible que cette tradition se soit interrompue.
1 Alfred Lamouroux (président), « Catalogue de l’exposition de la commission du Vieux Paris », Commission municipale du Vieux Paris. Année 1900. Procès-verbaux, Paris, 1901,, description de la vitrine 7, p. 132-133.
2 Grimault, « Rapport présenté par M. Grimault, au nom de la 2e Sous-commission, sur les fouilles effectuées : 1o pourla construction de la ligne métropolitaine no 10 (boulevard Saint-Germain et rue Monge) ; 2o sur l’emplacement du séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardennet (rues Saint-Victor et de Pontoise) ; 3o pour la construction de la ligne métropolitaine no 7 (avenue des Gobelins) ; 4o rue François-Miron ; 5o rue des Carmes, no 15 (ancien collège des Lombards) ; 6o boulevard des Filles-du-Calvaire », Ville de Paris. 1928. Commission du Vieux Paris. Séance du samedi 24 novembre 1928. Procès-verbal, Paris, 1931, p. 177.
3 Capitan et Grimault, « Rapport présenté par M. le docteur Capitan et par M. Grimault, inspecteur des fouilles archéologiques, sur les substructions anciennes mises au jour par les travaux de la ligne métropolitaine no 7, entre la rue du Louvre et la rue des Barres », Ville de Paris. 1922. Commission du Vieux Paris. Séance du samedi 29 octobre 1921. Procès-verbal, Paris, 1922, p. 168.
4 Catherine Homo-Lechner et Christophe Vendries, Le Carnyx et la lyre. Archéologie musicale en Gaule celtique et romaine, cat. exp. Besançon, Éd. du Musée des beaux-arts et d’archéologie de Besançon, 1993, p. 105.
5 Philippe Marquis et Catherine Brut, « Une production parisienne originale : les porte-couverts décorés », L’Art de la terre vernissée du Moyen Âge à l’an 2000, cat. exp. Paris, Éd. RMN, 1999, p. 52-57.
6 Victor Fournel, Tableau du vieux Paris. Les spectacles populaires et les artistes des rues, Paris, E. Dentu éditeur, 1863, p. 197-198.
7 Rémy Guadagnin, Fosses - Vallée de l’Ysieux. Mille ans de production céramique en Île-de-France. Vol. 1 : Les données archéologiques et historiques, Caen, CRAM, 2000 et Rémy Guadagnin, Fosses – Vallée de l’Ysieux. Mille ans de production céramique en Île-de-France. Vol. 2 : Catalogue typo-chronologique des productions, Caen, CRAHM, 2007.
© Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2014