Italie

La collection du MuCEM comporte dix-neuf sifflets produits en Italie que l’on peut décomposer en deux ensembles, l’un de treize sifflets de la première moitié du xixe siècle et l’autre de six sifflets datant de la fin du xxe siècle1.

Le noyau historique se compose de sifflets entrés dans les collections du musée de l’Homme : cinq en 1934 (coll. DMH1934.5) et un en 1938, acquis avec une série de flûtes de diverses provenances (coll. DMH1938.119). Sept autres sifflets italiens proviennent de l’ancienne collection du musée national des Arts et Traditions populaires auquel ils furent donnés en 1956 avec un ensemble de sifflets d’origines variées, recueillis dans les années 1920–1930 (coll. 1956.126).

À côté de ces sifflets anciens, six autres ont été collectés lors de missions du musée de l’Homme en Italie en 1977 pour l’un d’eux (coll. DMH1977.93), et en 1983 pour les cinq autres (coll. DMH1983.99). Ils témoignent de la production de la fin du xxe siècle où coexistent créations d’artistes et modèles perpétuant les formes traditionnelles régionales.

Malgré le nombre assez important de sifflets italiens, la collection du MuCEM ne reflète que très partiellement la richesse de cette production, tant moderne que traditionnelle.

Cette dernière est une des mieux connues en Europe. En effet, entre 1906 et 1910, une grande campagne de collecte d’objets populaires a été réalisée dans toute l’Italie pour le Museo di Etnografia, ancêtre de l’actuel Museo Nazionale delle Arti e Tradizioni Popolari. À cette occasion, près de trois cents sifflets ont été acquis par Lamberto Loria, fondateur du musée, et par ses collaborateurs dans toutes les régions italiennes. Ils témoignent d’une production extrêmement variée dans la majorité des régions où ces objets appartenaient pleinement à la culture populaire.

La production italienne actuelle de sifflets en terre cuite est toujours la plus vivante en Europe, après avoir connu un déclin au milieu du xxe siècle. De nombreux céramistes rivalisent d’imagination et des concours sont organisés à l’occasion d’expositions. Le sifflet n’y est plus un jouet d’enfant, il est maintenant recherché par de nombreux collectionneurs.

L’histoire

Sur le sujet des sifflets en terre cuite dans l’Italie antique, confirmé par l’archéologie2, on se reportera pour de plus amples informations aux « Quelques éléments sur l’histoire des sifflets en terre cuite » dans ce catalogue.

De nombreux sifflets des xive au xvie siècle ont été trouvés en Italie3, qui témoignent de la continuité de la production jusqu’à nos jours.

Les lieux de production

Il est impossible de citer tous les centres italiens. Les Abruzzes, l’Ombrie, la Toscane, la Sicile, la Vénétie ou les Pouilles sont parmi les régions où la production est la plus abondante. À l’opposé, on ne connaît pas de fabrication traditionnelle de sifflets en Sardaigne en dehors d’une production marginale ancienne signalée à Assemini, un des principaux centres potiers de l’île.

On rapprochera avec intérêt cette répartition de celle constatée en France où la production est présente dans toutes les régions à l’exception de la Corse. La production de sifflets en terre cuite étant également inconnue à Malte.

Les formes

La production italienne est extrêmement variée. Si les sifflets en forme d’oiseaux sont présents dans toutes les régions, ce sont principalement les sifflets anthropomorphes et zoomorphes qui caractérisent cette production (ill. 1). La représentation de petites trompettes est également courante dans de nombreuses régions. Le sifflet DMH1934.5.1 de la collection du MuCEM en est un exemple.

Ombrie (cavalier), 2e moitié du XXe siècle. Sicile (sainte), Lazzio (homme bossu), Toscane (chien), vers 1900. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ill. 1 : Ombrie (cavalier), 2e moitié du xxe siècle.
Sicile (sainte), Lazzio (homme bossu), Toscane (chien), vers 1900.
Coll. particulière. © Pierre Catanès

Poule, sifflet globulaire, Pescara, Abruzzes, vers 1900. Richiamo de caccia, Montelupo Fiorentino (Florence), milieu du XXe siècle. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ill. 2 : Poule, sifflet globulaire, Pescara, Abruzzes, vers 1900.
Richiamo de caccia, Montelupo Fiorentino (Florence), milieu du xxe siècle.
Coll. particulière. © Pierre Catanès

Les sifflets italiens sont en majorité de type tubulaire, ou bien réalisés par l’application sur la figurine d’un très petit sifflet globulaire. Cependant, de nombreux centres produisent aussi des sifflets globulaires en forme d’oiseau ainsi que de simples sifflets globulaires ovoïdes appelés richiamo de caccia (« appeau de chasse ») (ill. 2).

Les modèles de sifflets à eau sont, en revanche, peu variés. Le modèle le plus fréquent est en forme de petit vase en travers du col duquel est très souvent posé un oiseau. Le MuCEM en possède plusieurs de ce type.

Les sifflets en forme d’oiseau réalisés au tour et dont le sifflet tubulaire est inséré à la place de la queue, si répandus en France, ne se rencontrent que dans le Piémont.

Nombre de ces figurines sont réalisées à partir de moules mono- ou bivalves. À l’arrière, ou à la base des personnages, sont ajoutés les sifflets tubulaires. Plusieurs sources d’inspiration existent pour réaliser ces figurines : les personnages de la vie quotidienne, les personnages religieux et les représentations satiriques.

Les sifflets italiens sont majoritairement peints. Ce n’est qu’en Toscane ou dans les Abruzzes que furent fabriqués des sifflets en terre vernissée ou en faïence. Dans la production récente, les créateurs utilisent bien évidemment toutes les techniques de décoration en fonction de leur sensibilité.

La vente

Les sifflets étaient réalisés par deux catégories d’artisans : les potiers et les figurinai, spécialisés dans la production de figurines pour les crèches. Si les potiers réalisaient principalement les modèles traditionnels locaux modelés ou tournés, les seconds se devaient, pour conserver leur clientèle, de créer régulièrement de nouveaux personnages. Ils sont sans doute à l’origine de la grande variété des modèles rencontrée en Italie.

L’utilisation du fischietto (« petit sifflet ») est souvent associée à une fête ou un pèlerinage proche du lieu de production, car la vente de sifflets se faisait le plus souvent à l’occasion de ces fêtes religieuses. Cela explique les nombreuses représentations de saints ou de saintes.

Beaucoup de sifflets présentent un caractère satirique et pouvaient être vendus lors des fêtes de l’Épiphanie où le bruit des sifflets accompagnait celui des tambourins et des conques4, comme c’est le cas à Rome.

De même qu’ailleurs en Europe, de nombreux sifflets en forme d’oiseau ont servi de témoignage d’amour offert par les jeunes hommes à leur promise.

Abruzzes

La production traditionnelle des Abruzzes, région d’Italie centrale, provient de deux centres, Castelli dans la province de Teramo et Bussi sul Tirino dans celle de Pescara5.

Les sifflets de Bussi sont en terre cuite peinte et réalisés par moulage, un sifflet appliqué dans le dos. Ils représentent des carabiniers, des saints ou des jeunes femmes comme on en retrouve dans beaucoup d’autres régions.

Les sifflets de Castelli sont de petite taille, en faïence, moulés en ronde bosse, et le sifflet forme la base de ces figurines. Les modèles à eau reprennent la forme classique italienne du vase surmonté d’un oiseau mais, là aussi, ils sont décorés de glaçures colorées aux couleurs variées. C’est de ce centre que proviennent les sifflets des Abruzzzes de la collection du MuCEM.

Dans la région voisine du Molise, anciennement intégrée aux Abruzzes, une production ancienne est également connue dans plusieurs centres potiers. Celle-ci, de caractère artisanal, a disparu dans les années 1960 mais, auparavant, on trouvait dans toutes les boutiques des potiers, à côté de la production principale de poterie domestique, une grande variété de sifflets.

Castelli

Castelli est le centre principal de la faïence des Abruzzes et un des centres les plus prestigieux d’Italie. Plusieurs grandes familles de faïenciers ont développé une fabrication de qualité depuis le xviie siècle. Cinq sifflets de la collection du MuCEM peuvent être attribués à cette commune.

La fabrication de sifflets accompagnait la production de plats ou pièces « de forme » (on oppose généralement les pièces de forme aux assiettes et plats) de faïence. Objets de peu de valeur, les sifflets étaient utilisés à des fins promotionnelles avant l’heure.

Sifflets de Castelli, Abruzzes, vers 1900. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ill. 3 : Sifflets de Castelli, Abruzzes, vers 1900.
Coll. particulière. © Pierre Catanès

Le rossignol produit au tour et orné, sur l’ouverture, d’une colombe couvant, est un des modèles les plus répandu. Les potiers réalisaient aussi de nombreuses figurines anthropomorphes (enfants, soldats, carabiniers, religieux, bergers...) (ill. 3) ou zoomorphes. La production est soignée et décorée de glaçures colorées.

Il faut noter également un modèle de sifflet très particulier : les sordine. De la dimension d’une petite monnaie perforée, ces sifflets se tenaient entre les dents. Jouets pour les enfants, ils étaient pour les jeunes gens un signal sans équivoque sous les fenêtres de leurs élues. Cet usage était si fréquent qu’on les appelait aussi « sifflets des amoureux »6.

Ce type de sifflet se retrouve aussi sous des formes très proches en Espagne ou dans les Ardennes belges et, souvent, il servait aux bergers pour communiquer au moyen d’une véritable langue sifflée. S’agit-il ici d’un de ces anciens outils de langage utilisé tardivement dans un registre simplifié ?

Parmi les familles les plus connues pour la production de sifflets moulés, on trouve les Barnabei et les Polce, d’ailleurs apparentés, et dont la production principale consistait en services de table et en vaisselle décorée de paysages ou de motifs floraux, vendus dans toute l’Italie.

Il est possible que certains des sifflets du MuCEM, attribués ici à Castelli, proviennent de la ville voisine de Pescara où Emilio Polci de Castelli ouvrit en 1925 un atelier resté actif jusqu’à la fin des années 1960. Sa production comportait des santons et des sifflets pour lesquels étaient utilisés les vieux moules du fonds familial. Cela dit, dans le doute, le choix a été fait pour ce catalogue de conserver l’attribution de Castelli à l’ensemble des sifflets car ils sont plus proches des types traditionnels de cette ville que de ceux de Pescara.

Basilicate (Regione Basilicata)

La production traditionnelle de cette région du sud de l’Italie est peu connue car le Museo Nazionale delle Arti e Tradizioni Popolari de Rome n’a pas effectué de collectes au début du xxe  siècle. Les exemplaires anciens acquis ultérieurement montrent une production d’un style homogène caractérisé par des sifflets anthropomorphes ou zoomorphes, modelés en terre cuite peinte à froid d’un fond blanc et de traits polychromes7. Le seul centre de fabrication connu de cette province est Matera dont proviennent les quatre sifflets de la collection du MuCEM.

Matera

Les exemplaires les plus anciens collectés en 1955 par le Museo Nazionale delle Arti e Tradizioni Popolari de Rome ont été achetés à Picciano, village proche de Matera.

Santa Maria di Picciano, le sanctuaire de ce village fondé en 1200, était le principal lieu de vente des sifflets de Matera. Ce lieu de pèlerinage était lié à la communauté agropastorale du sud de la Basilicate et des Pouilles. Les fêtes s’y déroulaient pour l’Annonciation (25 mars), les deux premiers dimanches de mai, la Pentecôte, et la Nativité de la Vierge le 8 septembre, fêtes liées au départ et au retour de la transhumance et à la période précédant les récoltes. Ces fêtes attiraient de nombreux pèlerins des environs de Matera jusqu’à Bari. La fête religieuse se doublait d’une foire où se vendaient fruits secs, jouets et souvenirs. À côté d’enseignes à l’image de la Vierge, les pèlerins achetaient des bouquets de rubans multicolores pour le harnais des animaux. Depuis le début du xixe siècle, les sifflets étaient un achat obligatoire des pèlerins pour leurs enfants, qui les portaient autour du cou suspendus à un ruban multicolore. Le décor de rayures colorées des sifflets de Matera vient sans doute de ces rubans. La fonction protectrice ancienne de ces sifflets est très probable.

Le musée Domenico Ridola de cette ville conserve une série de sifflets, plus ou moins fragmentaires, trouvés au début du xixe siècle, dans une ancienne citerne comblée lors de travaux pour la création d’une place. Ces sifflets forment un premier groupe important de modèles en formes de poule, colombe ou oiseau. L’autre groupe est composé de modèles anthropomorphes réalisés par moulage. Ces sifflets datent du xviiie ou xixe siècle. Ils témoignent de l’ancienneté de la vente de sifflets à Matera8.

Les sifflets vendus à Matera étaient produits depuis le début du xxe siècle par deux familles : les Niglio de Matera et les Loglisci de Gravina in Puglia, province de Bari dans les Pouilles. Ceux de la collection du MuCEM sont caractéristiques de leur productions à partir des années 1960.

À cette époque, les sifflets perdent leur fonction première de jouet pour devenir surtout des objets décoratifs. En conséquence, le type classique évolue : on constate l’apparition de socles pour poser les objets et la multiplication des éléments décoratifs. Leur taille augmente aussi, atteignant parfois trente centimètres de haut. Si le sifflet DMH1983.99.56 conserve le caractère traditionnel de Matera, le sifflet DMH1983.99.21 est typique d’une production tardive dont les exemplaires ultérieurs seront de plus en plus exubérants pour le bonheur des collectionneurs, dont le nombre augmente dans les années 1970.

À leur entrée au musée de l’Homme, ces sifflets ont été indiqués comme provenant de Matera. Nous avons gardé cette attribution mais il est difficile de distinguer les modèles de Matera de ceux de Gravina in Puglia.

Les sifflets de Matera demeurent les souvenirs typiques du sanctuaire de Picciano, toujours vendus au milieu des souvenirs religieux.

Calabre

La production calabraise actuelle, assez limitée, est principalement destinée au marché touristique.

Seuls deux sifflets en forme de vase ont été attribués à la Calabre à leur entrée dans les collections du musée de l’Homme (DMH1977.93.55 et DMH1983.99.79). Ils viennent de Seminara dans la province de Reggio.

La production traditionnelle de Calabre est connue grâce à Raffaele Corso, ethnographe calabrais, qui acquit des sifflets dans cette province pour la Mostra di Etnografia italiana de 19119. Parmi eux, sept provenaient de Seminara. Trois autres, acquis à Tiriolo, province de Catanzaro, provenaient de la province voisine de Lecce dans la région des Pouilles. Ils attestent des échanges importants qui existaient entre ces deux provinces. Un autre sifflet acheté à Catanzaro, chef-lieu de la province du même nom, est aujourd’hui perdu. Il représentait le buste de San Vitiliano, patron de la ville et protecteur contre les tremblements de terre. Ce modèle s'inspirait de la statue du saint vénéré au Duomo, principale église de la ville. Ils étaient vendus lors de sa fête le 16 juillet et, une fois bénis, ils étaient considérés comme des amulettes protectrices. Parmi les sifflets achetés à Tiriolo, se trouve un sifflet en forme de sirène, qui était également considéré comme une amulette protectrice pour les enfants. Au-delà de son caractère ludique, le sifflet calabrais prend ici ouvertement une fonction apotropaïque.

Seminara

Deux sifflets du MuCEM proviennent de ce centre potier de la province de Reggio de Calabre. Achetés lors de missions du musée de l’Homme à la fin du xxesiècle, ils ne reflètent pas la fabrication traditionnelle de Seminara mais la production récente de ce centre, aujourd’hui limitée à cette forme traditionnelle italienne, bien différente de la production ancienne de cette commune.

Ce centre potier était très isolé au début du xxe siècle et le décor très spécifique de ses poteries (cavaliers, oiseaux, fleurs) a peut-être inspiré les formes des sifflets qui, auparavant, avaient celles d’oiseaux ou de poules sommairement modelés en terre cuite non vernissée.

Lors de sa collecte d’objets calabrais au début du xxe siècle, Raffaele Corso note que les jeunes apprentis des potiers, pour gagner un peu d’argent, travaillaient pendant leurs brefs loisirs à la fabrication de sifflets en forme d’oiseau, colombe et autres animaux10. Cela explique sans doute l’aspect assez fruste de ces fischiottu (terme employé à Seminara pour les sifflets au début du xxe siècle).

À l’opposé, la production moderne dont témoignent les sifflets du MuCEM montre de petits vases réalisés au tour. En 1979, le potier de Seminara ne produisait plus que ces modèles, même s’il se souvenait encore des anciens sifflets. Il attribue l’arrêt de leur production à la disparition des jeunes apprentis.

Toscane11

Les trois sifflets de la collection du MuCEM venant de Toscane sont issus d’une collection donnée au MNATP en 1956, mais réunie entre 1920 et 1930. Leur provenance n’a pas été indiquée. Cependant on peut attribuer le sifflet 1956.126.170 à la Toscane car un modèle semblable a été collecté pour le musée ethnographique italien en 1905 à la fête d’Impruneta. Les deux autres sifflets à eau de cette collection sont très proches et proviennent sans doute du même centre.

Les sifflets de Toscane constituent le noyau le plus ancien de la collection de l’actuel Museo Nazionale delle Arti e Tradizioni Popolari de Rome puisqu’ils vinrent enrichir les fonds entre 1902 et 1909.

Seize sifflets de cette collection ont été acquis à l’occasion de la fête annuelle d’Impruneta et viennent sans doute de cette localité où cette fête se tenait à la mi-octobre pour la San Luca. La vente de sifflets à cette occasion était très importante.

D’autres sifflets de la collection romaine proviennent de Florence où ils étaient vendus lors des fêtes de l’Annonciation et de la Nativité de la Vierge. Ces sifflets sont très semblables à ceux d’Impruneta.

Au milieu du xixe siècle, les jeunes Florentins se servaient de sifflets en terre non figuratifs (fischietti di coccio) pour se moquer des paysans qui arrivaient dans la cité vêtus de costumes qui suscitaient leur hilarité et leur mépris. On retrouve là l’utilisation classique des sifflets à l’occasion des chahuts.

Quelques potiers ont poursuivi la fabrication des modèles traditionnels de Toscane au xixe siècle.

Impruneta (Florence)

Sifflets d’Impruneta, Toscane, vers 1900. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ill. 4 : Sifflets d’Impruneta, Toscane, vers 1900.
Coll. particulière. © Pierre Catanès

Impruneta est un centre potier ancien proche de Florence qui était encore très actif dans la deuxième moitié du xixe siècle. La production de sifflets de ce centre, tournés ou modelés, se caractérise par sa qualité et surtout par l’utilisation d’émail plombifère que les potiers associaient aux différents oxydes de fer, antimoine, cuivre ou manganèse pour varier les couleurs (ill. 4). Les modèles sont classiques : cavaliers, chiens... et surtout de nombreux petits vases surmontés d’un oiseau. C’est à ce dernier type que se rapportent les sifflets de la collection du MuCEM.

Les sifflets anciens toscans de la collection du Museo Nazionale delle Arti e Tradizioni Popolari de Rome proviennent d’Impruneta ou de Florence. Leurs modèles sont très proches. On a choisi d’attribuer à Impruneta les sifflets de la collection du MuCEM puisque c’est probablement le lieu de production des sifflets vendus à Florence. De plus, le sifflet 1956.126.170 est identique à un sifflet acheté pour le Musée ethnographique de Rome en 1905 à Impruneta12.

Les Pouilles (Puglia)13

Quatre des cinq sifflets de la collection du MuCEM (DMH1934.5.1, DMH1934.5.2, DMH1934.5.4 et DMH1934.5.6) collectés à Tarente proviennent sans doute de Grottaglie, village potier voisin de cette ville.

Le sifflet DMH1934.5.5, malgré sa forme très stylisée, pourrait correspondre à un modèle attesté par les textes mais dont seul l’exemplaire de la collection du Museo Nazionale delle Arti e Tradizioni Popolari de Rome permet de connaître la forme. Il s’agit d’un sifflet appelé sirena, ce qui désigne en Calabre une amulette pour les enfants en forme de poisson14. Le sifflet du musée de Rome (no inv. 3489) est, comme celui du MuCEM, de forme simplement allongée et très éloignée d’une représentation classique de la sirène. Cette tradition n’est pas attestée pour les Pouilles mais la proximité de cette région avec la Calabre rend cette utilisation possible. On a choisi dans ce catalogue de l'attribuer aux Pouilles sans autre précision.

Les Pouilles sont actuellement une des principales régions de production de sifflets en terre cuite italienne. Pourtant, lors des collectes effectuées au début du xxe siècle par le Museo Nazionale delle Arti e Tradizioni Popolari de Rome, aucun sifflet n’a été recueilli dans cette zone. Il s’agit peut-être de la conséquence des préjugés de certains collaborateurs du musée pour qui les sifflets ne présentaient pas d’intérêt artistique. Ils auront préféré envoyer au musée des figurines de crèches comme témoins de la production des potiers de la région.

Sifflet tubulaire, signé « Vampo, Grottaglie », Pouilles, vers 1980. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ill. 5 : Sifflet tubulaire, signé « Vampo, Grottaglie », Pouilles, vers 1980.
Coll. particulière. © Pierre Catanès

La fabrication de sifflets y est néanmoins ancienne. Trois sifflets de l’ancien fond du musée de Rome, collectés en 1909 à Tiriolo en Calabre, provenaient de la province de Lecce dans les Pouilles. De plus, de nombreux témoignages écrits citent, pour cette région, les sifflets en forme de carabinier, soldat, trompette, oiseau, coq, etc., pendant le premier tiers du xxe siècle.

En effet, des sifflets étaient fabriqués dans plusieurs centres de la province de Lecce, mais aussi celle de Bari ou encore à Grottaglie dans la province de Tarente. Les quatre sifflets de la collection du MuCEM collectés à Tarente proviennent sans doute de ce dernier centre.

Actuellement, de nombreux fabricants de céramique produisent des sifflets en forme de soldat, polichinelle et autres personnages variés. Réalisés par moulage, ils sont peints à froid et, comme pour les modèles anciens, la partie sifflante tubulaire est insérée dans le dos de la figurine ou à l’arrière de la base. Cette production trouve son origine après la Seconde Guerre mondiale. Devant la baisse des ventes des poteries utilitaires, de nombreux artisans ont recentré leur production sur ces figurines et sifflets. Ainsi, après guerre, l’ancienne production qui était souvent modelée et destinée à être vendue comme jouets dans les fêtes locales a fait place à cette production de sifflets moulés, faits avec soin, et représentant de multiples personnages ou animaux destinés aux touristes et aux collectionneurs (ill. 5).

Grottaglie

Dans cet important village potier situé à proximité de Tarente, la tradition orale atteste d’une production de sifflets en forme d’oiseau (palomme) et de coq. Cela dit, les modèles ne se limitaient certainement pas à ces volatiles, en témoigne la production de la seconde moitié du xxe siècle.

Les cinq sifflets de la collection DMH1934.5 ont été trouvés à Tarente, et proviennent sans doute de ce village. Cependant plusieurs de ces sifflets se rapprochent également par leur typologie des sifflets de la province de Lecce dans la même région. Cette attribution reste donc non confirmée.

La trompette, le personnage féminin et le carabinier sont des modèles classiques qui se retrouvent dans la production de beaucoup de centres du sud de l’Italie. L’oiseau très stylisé avec sa crête ou sa grande plume (DMH1934.5.2) peut être une poule mais aussi un oiseau appelé localement cola-cola, terme qui désigne une huppe. Des sifflets de cette forme étaient réalisés dans la province de Bari.

Sifflets anthropomorphes, Grottaglie, Ruffano (Lecce), Pouilles. 2e moitié du XXe siècle. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ill. 6 : Sifflets anthropomorphes, Grottaglie, Ruffano (Lecce), Pouilles.
2e moitié du xxe siècle.
Coll. particulière. © Pierre Catanès

La production à Grottaglie a continué au xxe siècle. Giovanni Mastro (1917-env. 1985), issu d’une famille de potiers locaux, a été le fabricant le plus connu de ce centre. Il produisait des sifflets moulés en forme de carabinier, de soldat ou d’animal. Ces modèles étaient beaucoup plus soignés que les sifflets anciens. Ils traduisent la mutation qui eut lieu après la Seconde Guerre mondiale. Avant, il existait une division entre les figurinai, spécialisés dans la production de figurines mais qui exerçaient souvent une autre activité dans le bâtiment, et les vasai, potiers professionnels. Les premiers moulaient les carabiniers et autres personnages quand les seconds modelaient des sifflets en forme de trompette ou d’oiseau en marge de leur production. Devant la baisse des ventes de la poterie culinaire, les potiers durent se diversifier et certains choisirent de se former à la technique du moulage pour répondre à la demande touristique. Ces sifflets furent produits en grand nombre à Grottaglie mais aussi à Ruffano (province de Lecce) ; ils sont parfois difficiles à attribuer car ils reprennent souvent le même modèle de carabinier (ill. 6). On notera l’évolution importante de ces carabiniers modernes par rapport au modèle de carabinier du MuCEM (DMH1934.5.6) datant du début du xxe siècle. Les difficultés d’attributions tiennent aussi au fait que le fils de Giovanni Mastro, qui n’exerce plus comme potier, continuait en 1995 à produire des sifflets, l’été, en utilisant les moules familiaux.

1 Les informations de cet article et de ceux sur les zones de production italiennes sont tirées principalement du catalogue d’exposition de Paola Piangerelli (dir.), La terra, il fuoco, l’acqua, il soffio. La collezione dei fischietti di terracotta del Museo Nazionale delle Arti e Tradizioni Popolari, cat. exp. Rome, Ed. De Luca, 1995.

2 Ibid., p. 355-359.

3 Ibid., p. 351.

4 Ibid., p. 217-218.

5 Ibid., p. 243-247.

6 Ibid., p. 246.

7 Ibid., p. 301-303.

8 Ibid., p. 69-79.

9 Ibid., p. 309-311.

10 Ibid., p. 309 6: « I fanciulli apprendisti della bottega del cretaio di Seminara lavorano, nei brevi ozi, i fischietti, dai quali ricavano tenui guadagni. Danno al fischietto forma di uccelli, di colombi e di altri animali comuni. »

11 Ibid., p. 205-206.

12 Ibid., p. 210, notice 227.

13 Ibid., p. 267-270.

14 Ibid., p. 309 et, p. 313, notice 537.