Portugal

La collection de sifflets portugais du MuCEM est particulièrement importante, avec quatre-vingt-sept objets. Les sifflets du Portugal, et particulièrement ceux du centre potier de Barcelos, sont très nombreux dans les musées d’ethnologie en Europe. Ils ont souvent été collectés à partir des années 1960. La collection du MuCEM donne un panorama plus complet de la production du xxe siècle.

Quinze sifflets ont été donnés au musée de l’Homme par M. Orlowski en 1937 (coll. DMH1937.61) et reflètent la production de l’entre-deux-guerres.

Trente-deux sifflets (coll. DMH1959.66) ont été donnés en 1959 par Antonio Quadros, « découvreur » de la production de Rosa Ramalho, célèbre potière du centre de Barcelos. Ces sifflets donnent un bon aperçu de la production à l’époque de sa redécouverte.

Enfin, la production plus récente est bien documentée dans la collection grâce à plusieurs collectes ou dons des années 1960-1970. Ainsi, vingt-trois sifflets ont été rapportés de missions en 1963 (coll. DMH1963.67, DMH1963.68 et DMH1963.70). Cinq autres sifflets ont été donnés en 1978 par M. Da Costa (coll. DMH1978.19) et le dernier ensemble de douze sifflets est entré au MuCEM en 2006 (coll. 2006.19) à l’occasion d’un don de M. Calado d’objets initialement prévus au milieu des années 1970 pour le Musée alsacien de Strasbourg. Un projet de vitrine d’archéologie comparée sur les céramiques populaires alsacienne et portugaise avait alors été envisagé puis abandonné.

On note cependant un déséquilibre géographique, car seuls deux sifflets proviennent d’Estremoz dans la région du Haut-Alentejo dans le sud du Portugal, et les quatre-vingt-cinq autres sifflets ont été produits à Barcelos, dans la province du Braga, dans le nord.

L’histoire

Aucun sifflet portugais antérieur au xixe siècle n’est conservé dans les collections des musées. Heide Nixdorff écrit dans son chapitre sur l’histoire des sifflets, citant Luis Chaves1, que ces objets, connus seulement depuis le milieu du xixe siècle, sont peut-être copiés des modèles français2. La typologie des modèles portugais, très différente de celle connue en France, contredit cette affirmation. Malgré l’absence de donnée archéologique sur la production portugaise, on peut supposer que, comme dans l’Espagne voisine, la production est très ancienne.

La première mention de sifflets en terre cuite au Portugal remonte au xvie siècle. Dans sa Comédia Eufrosina, publiée en 1555, Jorge Ferreira de Vasconcelos (1515–1585) cite le roixinol de barro3 (« rossignol en terre cuite »). C’est surtout la production du xixe siècle qui est connue par les nombreux sifflets portugais conservés dans les collections des musées.

Les lieux de production

Les deux centres potiers les plus célèbres pour leur production de sifflets sont ceux représentés dans la collection du MuCEM : Barcelos et Estremoz. Cependant, cette production ne se limitait pas à ces centres et avant le xxe siècle, elle fut beaucoup plus répandue dans le pays.

Ainsi, des sifflets ont été fabriqués à Caldas da Rainha ; centre faïencier célèbre. Le grand artiste Rafael Bordalo Pinheiro (1846–1905) a modelé des sifflets satiriques vers 1895. Ils sont conservés au Museu da Cerâmica de cette ville (inv. MC219, 220 et 350), où le musée Bordalo Pinheiro conserve également un sifflet de ce céramiste signé « RBP1904 » en forme d’auto-caricature (inv. CER.391).

Vignette du chapitre « Assobios de barro », ibid. p. 71-76

Ill. 1 : Vignette du chapitre « Assobios de barro », ibid. p. 71-76

Les musées portugais présentent également d’autres sifflets éloignés des productions de Barcelos et d’Estremoz, tels qu’un sifflet en forme de buste de religieuse (inv. DEP9518 MEP) au Museu dos Biscainhos, ou des sifflets en forme de prêtre ou de tête du dictateur João Franco. De tels objets sont reproduits dans le livre de José Queiroz Da minha terra : Figuras Gradas. Impressões de Arte publié en 19094 (ill. 1).

L’auteur y narre comment, sur demande d’un ami, il partit dans Lisbonne acheter à un nommé Chaves des sifflets représentant João Franco, Affonso Costa et Bernardino Machado (hommes politiques portugais).

Ce témoignage de la production de Lisbonne confirme une indication de l’anthropologue Fernando Ferraz de Macedo donnée dans sa correspondance de 18935 avec l’archéologue François Daleau portant sur les sifflets à eau. Il écrit que les sifflets sont produits à Lisbonne et dans les alentours par des potiers non professionnels. Il décrit ces objets comme étant d’aspect critique ou satirique, représentant des politiques, des religieux, des criminels ou illustrant tout autre centre d’intérêt retenant l’attention du public selon l’époque. Les sifflets qui accompagnaient cette correspondance confirment cette typologie : figures de la République, hommes politiques se transformant en coqs, religieux, etc.

On a également fabriqué des « rossignols » dans le nord-est du pays dans la région du Trás-os-Montes, au centre dans la Beira Baixa, et sans doute, également dans ces deux régions, des « coucous6 ».

Il ne faudrait pas oublier, dans ce panorama de la production lusitanienne, les Açores où étaient produits des sifflets à eau en forme de simple vase, mais ces îles africaines sont hors du cadre géographique de ce catalogue.

La vente : fêtes et foires

Au xixe siècle, l’usage des sifflets en terre cuite était associé à certaines fêtes spécifiques comme il est courant partout en Europe. Ainsi, dans sa lettre à Daleau déjà citée, Fernando Ferraz de Macedo écrit que les sifflets à eau apparaissent en profusion à la vente au prix de 20, 30, 40 et 50 reis les nuits des 12, 23 et 28 juin puis disparaissent totalement jusqu’à l’année suivante. Ils étaient utilisés à Lisbonne les soirs des fêtes de Santo António de Lisboa, de San João et de São Pedro. D’après ce témoignage, ils étaient fabriqués à Lisbonne et alentour non par des potiers professionnels mais par des individus peu qualifiés qui, afin de gagner un peu d’argent, se dédiaient à cette production à ces périodes. Lors des jours de vente, ils faisaient une sorte de foire nocturne qui se tenait au marché central de Lisbonne, place de Figueira.

Cette fête n’est pas sans rappeler celle qui se tenait au jour de l’An à Rome où, là également, les sifflets présentaient en majorité un caractère satirique (voir le texte sur l’Italie).

À quelles occasions étaient vendus les sifflets dans le reste du Portugal ? On sait seulement que les potiers de Barcelos vendaient leur production en suivant le rythme des foires et des pèlerinages du nord du pays7 : Saõ Bento, Cruzes, Matosinhos...

Alentejo8

Le Haut-Alentejo a toujours été une terre de poterie et la plupart des centres potiers actuels étaient déjà connus à l’époque romaine. On a fabriqué dans cette région des poteries en terre mates noires et rouges, des poteries vernissées et des faïences. De nombreuses études ethnographiques anciennes ont été consacrées à la poterie de cette région. Certains centres du district d’Évora étaient très renommés aux xvie et xviie siècles et fournissaient la cour d’Espagne, mais les plus importants étaient Redondo et Estremoz. Dans le district de Portalegre, la poterie était encore très active dans les années 1960 à Flor da Rosa ou à Nisa.

Parmi les nombreux lieux de production de cette province, Estremoz est le seul où la production de sifflets en terre cuite soit connue.

Estremoz

Seuls deux sifflets de la collection du MuCEM proviennent de cette ville, tous deux collectés pendant la deuxième moitié du xxe siècle.

La ville d’Estremoz est célèbre depuis longtemps pour la qualité de ses poteries rouges décorées de pierres blanches. Ces poteries connues sous le terme de púcaros aux xvie et xviie siècles, et vendues à l’époque dans les cours d’Espagne, de France ou d’Angleterre, ont fait l’admiration d’Alexandre Brongniart en 1844. Le déclin de la poterie date de la fin du xixe siècle car, de soixante-quatre potiers en 1880, le nombre descend à dix dans les dix années qui suivent, et il n’en restait que deux en 1968.

La production de púcaros continue aujourd’hui à Estremoz à côté d’une autre fabrication qui fit également la renommée d’Estremoz : les bonecos, petites figurines en terre cuite dont certaines sont aussi des sifflets.

Histoire

Estremoz est le seul centre du sud du Portugal à produire les bonecos, ces figurines modelées naïves peintes de couleurs vives. À l’origine, ces figurines étaient principalement des santons. La période de production la plus brillante fut sans doute le xviiie siècle.

Aucun sifflet antérieur à la fin du xixe siècle n’a cependant été trouvé, aussi est-il impossible de connaître l’ancienneté de la production de sifflets. Comme pour les autres figurines, il est probable que les modèles du xxe siècle perpétuent les modèles anciens.

En plus des sifflets détaillés ci-après, il est certain que d’autres modèles avaient été fabriqués auparavant à Estremoz. En 1893, le docteur Fernando Ferraz de Macedo, anthropologue, écrivant sur les sifflets à eau utilisés à Lisbonne, indique qu’il a appris que les rouxinóes, sifflets à eau, étaient également utilisés à Evora et provenaient d’Estremoz. Ces rouxinóes n’apparaissent plus dans la production du xxe siècle. L’histoire de la production de sifflets à Estremoz est encore très imparfaitement connue.

Les fabricants9

Ces figurines étaient produites par des femmes (santeiras), peut-être les épouses des potiers, car elles vivaient également dans le vieux quartier de la ville où se trouvaient les ateliers des potiers.

Au début du xxe siècle, Gertrudes Rosa Marques, déjà âgée, continuait seule avec sa fille à produire ces santons. Une femme surnommée Ana das Peles (peut-être était-ce la fille de G.R. Marques) lui succéda jusqu’en 1940. Cette production faillit disparaître mais Jose Salemeos, alors directeur de l’école technique de la ville, voulut sauver cette tradition et la fit venir, déjà âgée, pour apprendre auprès d’elle ses techniques. Mariano Augusto de Conceição, maître potier dans cette école et frère du maître de l’Olaria Alfacinha, apprit lui aussi à fabriquer ces figurines en aidant Ana das Peles. Après le départ du directeur de l’école, il continua seul cette production devenue ensuite le monopole de la poterie Olaria Alfacinha. Après sa mort en 1959, la femme du maître de cet atelier, Sabina Augusto de Conceição, poursuivit cette production aidée de ses belles-sœurs.

Les deux sifflets de la collection du MuCEM portent sous leur socle le tampon de cette poterie.

Deux sœurs, Maria Inácia Fonseca et Perpétua Fonseca, ont ouvert depuis la fin des années 1980 un atelier spécialisé dans la fabrication des figurines où sont reproduits les modèles anciens et créés de nouveaux modèles. Quelques autres potiers continuent également la longue tradition des bonecos d’Estremoz.

Les formes

Environ soixante-dix modèles de bonecos sont ou ont été fabriqués à Estremoz10.

Le MuCEM en possède un ensemble acquis en 1979 (coll. DMH1979.93) comprenant des modèles variés comme les bergers, la femme préparant des saucisses, l’abattage du porc, matança dos porcos (ill. 2), la primavera (jeune fille coiffée d’un étrange chapeau fait de feuilles ou pétales en éventail autour de la tête) (ill. 3).

Matança dos porcos, Marseille, MuCEM (DMH1979.93.20). © MuCEM, Dist. RMN-Grand Palais / Image MuCEM

Ill. 2 : Matança dos porcos,
Marseille, MuCEM (DMH1979.93.20).
© MuCEM, Dist. RMN-Grand Palais / Image MuCEM

<i>Primavera</i>, Marseille, MuCEM (DMH1979.93.18). © MuCEM, Dist. RMN-Grand Palais / Image MuCEM

Ill. 3 : Primavera,
Marseille, MuCEM (DMH1979.93.18).
© MuCEM, Dist. RMN-Grand Palais / Image MuCEM

On distingue quatre types de figurines d’Estremoz : les santons, les statuettes religieuses, les figurines satiriques et les sifflets. On peut y ajouter une production aujourd’hui disparue, les ganchos de meias ou crochets à tricoter qui représentaient de petites figurines de 3 ou 4 cm de hauteur munies d’un crochet. Les femmes les fixaient à hauteur d’épaule, ce qui les aidait à guider le fil de laine en le faisant glisser dans le crochet. Les jeunes gens les achetaient sur les foires pour les offrir à leur belle.

Quinze modèles de sifflets étaient fabriqués, représentant des personnages en pied ou à cheval, des oiseaux ou de simples paniers remplis d’œufs. Seuls les oiseaux sont présents dans la collection du MuCEM.

Les modèles de sifflets anthropomorphes représentent des femmes debout en longues robes portant d’élégants chapeaux (senhora), ou bien montant en amazone un mulet ou un âne (amazona). D’autres femmes, appelées les coquettes (peralta et peralta a cavalo), sont vêtues d’une jupe courte et la tête est parfois auréolée d’une guirlande de fleurs. Parmi les modèles d’hommes, on trouve des militaires : les sergents (sargentos), debout ou à cheval, en uniforme bleu coiffés d’une toque, et des paysans (paisanos) coiffés d’un large béret incliné sur l’oreille gauche.

Les sifflets zoomorphes, qui sont ceux représentés dans la collection du MuCEM, se limitent à trois modèles très proches.

Les coqs (galo), debout sur leurs pattes faites de fils de fer, se dressent directement sur la base du sifflet ou le plus souvent sur un perchoir formé d’une barrière, d’une arche ou d’un tronc d’arbre. La poule (galinha) est représentée en train de couver dans une corbeille posée sur une colonne de hauteur variable. Elle est parfois entourée d’une guirlande de fleurs. Enfin la tourterelle (pomba) de couleur blanche se dresse elle aussi sur ses pattes de fil de fer piquées dans la base de la figurine.

Le dernier modèle de boneco représente simplement un panier à anse rempli d’œufs et posé sur une colonne.

Les personnages en pied et les modèles zoomorphes reposent sur une base ronde légèrement renflée au centre dont la partie antérieure se termine par un sifflet tubulaire. Sur les modèles anciens, cette base était généralement peinte en blanc et tachetée de pastilles orange et vertes.

Les personnages à cheval reposent aussi sur un socle plat mais le sifflet y est inséré à la place de la queue de la monture.

La fabrication11

Les figurines sont modelées en plusieurs parties et assemblées avec un peu de barbotine. Seules les têtes des personnages sont moulées. Après cuisson, les figurines sont peintes avec des pigments mélangés à chaud à de la colle. Chaque couleur doit sécher avant d’appliquer la couleur suivante. Un vernis est appliqué ensuite. Toute cette fabrication est longue et minutieuse. Dans les années 1960, pour produire une quarantaine de bonecos, les trois potières de la Oleria Alfacinha mettaient trois jours, et trois autres jours pour les peindre en travaillant de 14 heures à 20 heures. Cependant, les sifflets zoomorphes sont les modèles les plus simples à faire et leur fabrication était en conséquence plus rapide.

La vente

Nous n’avons pas trouvé de donnée ethnographique permettant de savoir si les sifflets étaient vendus avant le milieu du xxe siècle à l’occasion de fêtes ou de foires. La poterie Olaria Alfacinha a compris qu’avec le déclin de la poterie utilitaire, il lui fallait se tourner vers un marché plus large, et les figurines ont trouvé un débouché important avec les touristes qui apprécient ces objets.

Norte (Região Norte)

Le district de Braga, dans la région historique du Minho, au nord du Portugal est une région riche en production céramique. Les sifflets de Barcelos sont les plus connus de cette région mais la production de sifflets globulaires et de sifflets à eau se faisait aussi dans le haut Trás-os-Montes.

Ces derniers ne se distinguaient de ceux de Barcelos que par la couleur rouge de la terre utilisée.

Barcelos

Barcelos est un des centres potiers les plus réputés du Portugal. Aujourd’hui, les figurines et les « coqs de Barcelos » sont devenus des symboles de l’art populaire portugais mais auparavant, les potiers de cette municipalité fabriquaient principalement une production utilitaire classique ainsi que des santons.

Sous la désignation de « Barcelos », se trouvent regroupées quatre-vingt-neuf paroisses (freguesia). Les principaux ateliers de potiers qui ont fait la célébrité de cette ville se trouvent à Santa Maria de Galegos, avec les ateliers des familles « Côto » et « Mistério » et à São Martinho de Galegos où travaillait Rosa Ramalho. D’autres ateliers existent comme à Manhente où Eduardo Fernandes de Sousa produisait des rouxinóis et des cucos.

Il est difficile de distinguer la production de sifflets de ces villages car les mêmes modèles sont produits dans quelques familles de potiers le plus souvent apparentées. Seuls de menus détails permettent parfois de préciser leur attribution quand le collecteur du sifflet n’a pas fourni ce renseignement.

La collection du MuCEM avec ses quatre-vingt-cinq sifflets est particulièrement riche, mais cette quantité n’est pas surprenante. Ce sont des centaines de sifflets de Barcelos qui sont présents dans les musées portugais ou européens. En revanche, malgré les nombreux articles parus à l’occasion des expositions présentant les œuvres des plus célèbres potiers du village, on ne possède que peu d’informations sur l’histoire de leur production.

Histoire

Les plus anciens sifflets de Barcelos conservés ne remontent pas avant la fin du xixe siècle. C’est grâce à António Rocha Peixoto qu’on connaît de façon détaillée la production de sifflets à cette époque. Dans un article écrit en 1899, “Industrias populares. As olarias de Prado”12, il décrit la production céramique dans les concelhos (municipalités) de Barcelos, Braga et Villa Verde et indique que celle de Barcelos était largement diffusée dans une zone allant jusqu’en Galice au nord, à Figueira au sud, à la province de Trás-Os-Montes et aux provinces des Beiras à l’est.

Le centre principal de production des figurines se trouvait, écrit-il, à Gallegos13 à Barcelos. Elles étaient modelées à la main et simplement décorées parfois de motifs géométriques incisés. António Rocha Peixoto reproduit dans son article de nombreuses formes de figurines. Les figurines dessinées correspondent à de nombreux sifflets conservés au Museu de Arte Popular de Lisbonne (inv. CER502/83 à CER648/83). L’origine de l’acquisition de ces sifflets est inconnue. Ils sont en terre pâle simplement vernissée d’une glaçure transparente ou, plus rarement, brune.

Les flûtes14 étaient produites à Lama15 et dans d’autres lieux. Elles étaient réalisées à partir d’un cylindre d’argile formé autour d’une branche de pin, puis vernissées à partir de limaille de cuivre donnant une couleur verte ou marron.

Rocha Peixoto décrit ici une poterie de terre vernissée et non peinte comme le sont les figurines traditionnelles de Barcelos. Dans les collections privées ou publiques se rencontrent d’autres sifflets en terre vernissée. Ces sifflets sont réalisés avec beaucoup de détails et une belle glaçure mais sont identiques aux modèles des sifflets peints produits plus tardivement au xxe siècle (ill. 4). Le musée d’Ethnographie de Genève possède ainsi plusieurs sifflets en forme d’ânes, de cavaliers, de familles de poules et de personnages proches des sifflets du xxe siècle. Ces sifflets sont également réalisés avec soin et couverts de glaçures vertes ou marron. D’autres variantes dans les modèles et les glaçures (ill. 5) laissent penser que plusieurs ateliers à Barcelos produisaient des sifflets à la fin du xixe siècle.

Sifflet en forme de berceau, terre vernissée, Barcelos, XIXe siècle. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ill. 4 : Sifflet en forme de berceau, terre vernissée, Barcelos, xixe siècle. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Sifflet en forme de berceau, terre vernissée, Barcelos, XIXe siècle. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ill. 5 : Sifflet en forme de berceau, terre vernissée, Barcelos, xixe siècle. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Sonia Delaunay, <i>Jouets portugais</i>, peinture à la cire, gouache et aquarelle sur papier. Paris, musée national d'Art moderne - Centre Georges Pompidou © Succession Delaunay, © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Jacques Faujour

Ill. 6 : Sonia Delaunay, Jouets portugais, peinture à la cire, gouache et aquarelle sur papier. Paris, musée national d'Art moderne - Centre Georges Pompidou © Succession Delaunay, © Centre Pompidou, MNAM-CCI,
Dist. RMN-Grand Palais / Jacques Faujour

Les sifflets illustrés par Rocha Peixoto provenaient sans doute de ces divers ateliers. L’archéologue indique dans ses descriptions que certaines des figurines sont représentées avec soin quand d’autres sont plus grossières, ce qui laisse supposer qu’elles provenaient d’auteurs différents. La diversité de la production ancienne de Barcelos reste encore à découvrir.

À quel moment, les potiers de Barcelos ont-ils remplacé la glaçure par les peintures vivement colorées, aujourd’hui caractéristiques des figurines de Barcelos ? Rocha Peixoto, en 1899, ne parle jamais de figurines peintes. À l’inverse, Sonia Delaunay, qui résida au Portugal en 1915-1916, a reproduit dans sa peinture Jouets portugais des sifflets aux vives couleurs (ill. 6). C’est sans doute au début du xxe siècle, quand les peintures synthétiques se diffusent largement, que les potiers de Barcelos ont adopté cette technique qui donnait plus de vie à leur production.

Les sifflets du xxe siècle sont nombreux dans les collections publiques ou privées, mais difficiles à dater car les modèles ne changent pas, et seules les peintures utilisées varient au fil des décennies. Cette continuité des formes s’explique par le fait qu’au début du xxe siècle, peu de potiers produisent encore ces sifflets et ce sont ces quelques vieux potiers, nés à la fin du xixe siècle qui formeront les fabricants de figurines qui marquèrent la deuxième moitié du xxe siècle.

Les potiers du xxe siècle

Beaucoup des fabricants de figurines du xxe siècle sont connus à travers les nombreuses études écrites sur la production de Barcelos. Il demeure pourtant souvent difficile de distinguer leur production.

Plusieurs familles sont devenues célèbres pour cette production. Si on utilise généralement le terme de barristas pour désigner les fabricants (barro désigne l’argile, la barrista est la femme qui la modèle), c’est que ce sont surtout des femmes âgées qui ont marqué cette production. Les potiers sont pourtant loin d’être absents de ce travail même s’ils étaient surtout employés au tour dès qu’ils étaient assez âgés pour en avoir la force. Il semble que tous les enfants de potiers, garçons et filles, étaient très tôt initiés au modelage des figurines dans les familles de barristas.

Ainsi, Teresa dite Carumas a formé sa nièce Teresa Gonçalves Pereira dite Mouca et son neveu Domingos Gonçalves Lima (1921–1995) dit Mistério, tous deux devenus ensuite des fabricants de sifflets très connus de Barcelos. La production de ces trois potiers est difficile à distinguer même si le style particulier de Mistério est très affirmé dans ses figurines à caractère satirique.

Étaient-ils d'une famille apparentée à une autre famille célèbre de fabricants de figurines et de sifflets, les Côto, dont les modèles sont également très proches ?

Domingo Côto (1877–1959), de son vrai nom João Domingos da Rocha, épousa Rosalina Rodrigues Pereira (née en 1879). Leur fille, Rosa Faria da Rocha (1901–1893) dite Rosa Côta, fut un autre des grands noms de la fabrication de figurines et sifflets à Barcelos tout comme Maria de Jesus Fernandes Coelho (1915–1996) dite Maria Sineta, mariée à António Faria da Rocha, un des fils de Domingo Côto. Cette dernière avait appris à modeler les figurines dès sept ans avec ses parents, journalier et couturière, qui réalisaient ces figurines le soir.

Avant son mariage avec Domingo Côto, Rosalina Rodrigues Pereira avait eu un fils, Manuel Pereira, marié avec Ana Lopes Gonçalves Valada (1904–2001), dite Ana Baraça, qui fut aussi une grande fabricante de sifflets et de figurines qu’elle avait également commencé à modeler dès ses sept ans. Elle modelait des sifflets en forme de poule et, dès quinze ans, les cuisaient dans le four de son père pour les vendre 10 reis sur le marché de Barcelos à côté de la production de ses parents.

Comme on le constate, les liens familiaux sont nombreux entre tous ces fabricants de sifflets, ce qui explique les similitudes de forme. Avant les années 1960, aucune figurine ne porte de signature et l’attribution de ces sifflets entre tous ces artistes est délicate.

Dans les années 1950, la production de figurines de Barcelos va devenir célèbre même si, déjà en 1936, ces figurines avaient été présentées lors d’une exposition d’art populaire à Lisbonne. En 1956, le peintre António Quadros va en effet faire connaître cette production à l’école des Beaux-Arts de Porto et aux milieux artistiques.

Il est le donateur, en 1959, de cinquante-trois figurines de Barcelos au musée de l’Homme (coll. DMH1959.66). Parmi ces objets, dont beaucoup sont des sifflets, figurent de nombreuses pièces de Rosa Ramalho dont il admire la production et qui deviendra l’artiste la plus connue de Barcelos.

Quand António Quadros rencontre cette potière en 1956, celle-ci est déjà âgée mais a depuis peu repris cette production. En effet, Rosa Barbosa Lopes (1888–1977) dite Rosa Ramalho, avait appris enfant à modeler les figurines. Cependant, après son mariage à dix-huit ans avec un meunier, elle s’occupa de ses sept enfants et ce n’est qu’à la mort de son mari, âgée alors de soixante-huit ans, qu’elle recommença cette production. Beaucoup d’articles ont été écrits sur cette artiste aujourd’hui décédée, devenue célèbre et honorée des plus hautes distinctions. Sa production a fait l’objet de nombreuses expositions et le caractère onirique de son œuvre est particulièrement admiré. En effet, si Rosa Ramalho a produit de nombreux modèles traditionnels, elle a également réalisé des figurines en forme d’animaux fantastiques ou de démons.

Figurine en forme de cochon, Rosa Ramalho, Barcelos, vers 1959. Marseille, MuCEM (DMH1959.66.23). © MuCEM / Christophe Fouin

Ill. 7 : Figurine en forme de cochon, Rosa Ramalho, Barcelos, vers 1959.
Marseille, MuCEM (DMH1959.66.23).
© MuCEM / Christophe Fouin

La figurine en forme de cochon de la collection du MuCEM DMH1959.66.23 (ill. 7) est un exemple de ces curieux cochons aux dents dépassant de la gueule. Le même modèle a été réalisé avec ou sans sifflet appliqué sur le corps (voir le sifflet DMH1959.66.22).

On peut cependant se demander si la fantaisie dont faisait preuve Rosa Ramalho était pure inspiration artistique. En effet, nombre de ses compositions fantastiques rappellent les modèles de la fin du xixe siècle. Son style différent de celui des familles Côto ou Mistério évoque en particulier les sifflets de terre vernissée du Museu de Arte Popular cités plus haut. Rosa Ramalho avait-elle appris à modeler les figurines dans l’atelier qui a produit ces sifflets, quand l’origine des sifflets des autres familles de Barcelos au xxe siècle serait à rechercher dans un autre atelier ? Cette hypothèse est d’autant plus plausible que Rosa Ramalho était née à São Martinho de Galegos et que les Côto, Valada et Pereira viennent de Santa Maria de Galegos, deux des paroisses du « Gallegos » cité par Rocha Peixoto comme lieu de production des figurines.

Une étude généalogique des familles de potiers ainsi que des recherches archéologiques sur l’emplacement des anciens fours permettraient sans doute de mieux caractériser les différents styles des ateliers de Barcelos. Il est trop souvent écrit que tous les potiers des paroisses de Barcelos produisaient les mêmes modèles alors que les différences de style existent et sont anciennes.

Dans les années 1960, seules quelques barristas continuaient à vendre encore leurs figurines pendant les marchés de Barcelos. Une fois reconnues et célébrées comme artistes, elles commencèrent à signer leurs pièces et cette fabrication devint de plus en plus importante à Barcelos. Aujourd’hui, la production de figurines y est très vivante. De nouveaux artisans ont succédé aux femmes âgées qui sauvèrent cet art de l’extinction au milieu du xxe siècle. Le caractère artisanal de cette production destinée aux enfants a été remplacé par une création recherchée par les collectionneurs. En cela, Barcelos ne se différencie pas des autres centres de production de sifflets européens.

Les formes

En 1899, Rocha Peixoto a illustré son article sur les figurines de Barcelos de nombreux dessins témoignant d’une grande diversité de modèles. Il nous a semblé intéressant de les reproduire ici car plusieurs de ces modèles se retrouvent dans les sifflets du xxe siècle de la collection du MuCEM. Il indique que ces objets présentent toujours deux accessoires inamovibles : un sifflet et des orifices pour les cure-dents16.

Les potiers réalisaient aussi des modèles de poteries miniatures, des flûtes (fig. 89 et 90), des sifflets à eau (fig. 91) et des sortes d’ocarinas imitant le coucou et des trompettes (fig. 92 et 93).

modèles en forme de flûte

Fig. 89 et 90 : modèles en forme de flûte

modèle de sifflet à eau

Fig. 91 : modèle de sifflet à eau

modèles en forme de trompette

Fig. 92 et 93 : modèles en forme de trompette

La collection du MuCEM comprend plusieurs flûtes (ill. 8 et ill. 9) et sifflets à eau (ill. 10) proches des modèles reproduits et on peut supposer que les ocarinas imitant les coucous étaient semblables à ceux du milieu du xxe siècle de la collection (ill. 11).

Sifflet tubulaire en forme de hautbois. Marseille, MuCEM (DMH1937.61.1). © MuCEM / Christophe Fouin

Ill. 8 : Sifflet tubulaire en forme de hautbois.
Marseille, MuCEM (DMH1937.61.1).
© MuCEM / Christophe Fouin

Sifflet tubulaire en forme de pipeau. Marseille, MuCEM (DMH1937.61.15). © MuCEM / Christophe Fouin

Ill. 9 : Sifflet tubulaire en forme de pipeau.
Marseille, MuCEM (DMH1937.61.15).
© MuCEM / Christophe Fouin

Sifflet à eau en forme d'oiseau. Marseille, MuCEM (DMH1959.66.7). © MuCEM / Christophe Fouin

Ill. 10 : Sifflet à eau en forme d'oiseau.
Marseille, MuCEM (DMH1959.66.7).
© MuCEM / Christophe Fouin

Sifflet globulaire fusiforme. Marseille, MuCEM (DMH1959.66.6). © MuCEM / Christophe Fouin

Ill. 11 : Sifflet globulaire fusiforme.
Marseille, MuCEM (DMH1959.66.6).
© MuCEM / Christophe Fouin

Pour les sifflets à eau, contrairement aux modèles les plus répandus en Europe où la tête est modelée à l’opposé du sifflet inséré à la place de la queue, le sifflet légèrement évasé est considéré comme représentant la tête stylisée de l’oiseau17. Ces sifflets portent aussi le nom de canários (« canaris »), sans doute à cause du chant proche de ces deux oiseaux.

La forme du cuco (« coucou ») de Barcelos est également singulière. L’objet est simplement tourné en forme d’œuf reposant sur un pied à une extrémité. Sur la partie la plus large est ajoutée l’embouchure de l’instrument. On pourrait penser que cette forme dérive des ocarinas mais les potiers de Barcelos produisaient également des ocarinas de forme classique, bien qu’avec difficulté selon Rocha Peixoto.

modèle en forme de lucane

Fig. 41 : modèle en forme de lucane

modèle en forme de crapaud

Fig. 42 et 43 : modèle en forme de crapaud

modèle en forme de lézard

Fig. 44 : modèle en forme de lézard

Sifflet tubulaire en forme de lézard. Marseille, MuCEM (DMH1963.70.6). © MuCEM / Christophe Fouin

Ill. 12 : Sifflet tubulaire en forme de lézard.
Marseille, MuCEM (DMH1963.70.6).
© MuCEM / Christophe Fouin

Cependant, les modèles les plus nombreux sont les figurines. Rocha Peixoto en donne une large description. Il rappelle que dans la région de Barcelos subsistaient de nombreuses superstitions, condamnées par le clergé, relatives à la faune représentée par les potiers. Il en est ainsi des lucanes (cabra-loira, fig. 41) ou des crapauds (sapo, fig. 42 et 43). Ces représentations étaient rares mais celles en forme de lézard (sardão, fig. 44), animal qui poursuit les femmes et prévient les hommes imprudents, étaient plus courantes. Le MuCEM possède effectivement dans sa collection trois sifflets de ce type (ill. 12).

Sifflet tubulaire en forme de coq. Marseille, MuCEM (DMH1937.61.7). © MuCEM / Christophe Fouin

Ill. 13 : Sifflet tubulaire en forme de coq.
Marseille, MuCEM (DMH1937.61.7).
© MuCEM / Christophe Fouin

modèle de sifflet en forme de coq

Fig. 45 : modèle de sifflet en forme de coq

Le coq (gallo) dépassait en nombre et en variété toutes les autres espèces animales représentées par les potiers. Le MuCEM conserve un sifflet très proche (ill. 13) du modèle ancien dessiné dans la fig. 45.

Le coq est devenu au milieu du xxe siècle le symbole de Barcelos et un des objets typiques de l’art populaire portugais. Son origine est à rechercher dans une ancienne légende (on lira à ce sujet la notice du sifflet DMH1937.61.7) mais Rocha Peixoto n’y fait aucune allusion.

Rocha Peixoto note que ces figurines de coq étaient minutieusement exécutées, comprenant de nombreux détails. Il précise que dans leur attitude tout indiquait la domination et la virilité, et il rappelle que le coq a toujours été considéré comme ayant un grand pouvoir sur les entités maléfiques des ténèbres.

modèle en forme de taupe

Fig. 46 : modèle en forme de taupe

modèles en forme de bélier (fig. 47) et de chien (fig. 48)

Fig. 47 et 48 : modèles en forme de bélier (fig. 47) et de chien (fig. 48)

Il existait d’autres animaux, isolés ou en groupes, comme la taupe (loupeira, fig. 46), qui représente les illusions aveugles, le bélier (carneiro, fig. 47), le cochon, le bœuf, le cheval, le hérisson chargé de pommes et furetant dans les vergers, le chien (cão, fig. 48), et le chat.

Sifflet tubulaire en forme de hérisson. Marseille, MuCEM (DMH1959.66.17). © MuCEM / Christophe Fouin

Ill. 14 : Sifflet tubulaire en forme de hérisson.
Marseille, MuCEM (DMH1959.66.17).
© MuCEM / Christophe Fouin

La collection du MuCEM comporte de tels sifflets en forme de hérissons ou de bœufs. Si le hérisson du MuCEM (ill. 14) n’est pas chargé de pommes, un curieux sifflet en forme de hérisson au dos couvert de petites boules d’argile conservé au Museu de Arte Popular (inv. CER 5037/97) correspond bien à cette description.

Comme il est courant à la fin du xixe siècle où des liens entre l’art populaire et les civilisations antiques sont souvent établis, Rocha Peixoto voit dans les sifflets en forme de bœuf un rappel des représentations antiques de la vache Hathor.

modèle en forme de lion

Fig. 82 : modèle en forme de lion

Sifflet tubulaire en forme de lion. Marseille, MuCEM (DMH1937.61.4). © MuCEM / Christophe Fouin© MuCEM

Ill. 15 : Sifflet tubulaire en forme de lion.
Marseille, MuCEM (DMH1937.61.4).
© MuCEM / Christophe Fouin

Le lion (fig. 82) viendrait des représentations qu’ont pu en voir les potiers dans des sculptures. Le sifflet DMH1937.61.4 représentant cet animal dans la collection du MuCEM conserve l’attitude élégante et élancée reproduite dans l’article (ill. 15).

Rocha Peixoto reproduit aussi des figurines d’objets vestimentaires (bottines et sacs) ou mobiliers, (paniers, fers à repasser, chaises, berceaux, commodes et sanctuaires) qui étaient probablement des jouets destinés aux petites filles et n’étaient sans doute pas des sifflets.

À coté des animaux, beaucoup de figurines étaient inspirées de la vie rurale. On y retrouve les activités quotidiennes : la fabrication du pain (fig. 53), la décoration de l’autel (fig. 54), la lessive (fig. 55).

Fig. 53

Fig. 53

Fig. 54

Fig. 54

Fig. 55

Fig. 55

Les représentations les plus fréquentes se rapportent aux travaux des champs. C’est le cas des attelages de bœufs représentés jusque dans les plus menus détails (fig. 58 et fig. 59).

Fig. 58

Fig. 58

Fig. 59

Fig. 59

Sifflet tubulaire en forme d'homme conduisant un attelage de bœufs. Marseille, MuCEM (DMH1963.70.7). © MuCEM / Christophe Fouin

Ill. 16 : Sifflet tubulaire en forme d'homme conduisant un attelage de bœufs.
Marseille, MuCEM (DMH1963.70.7).
© MuCEM / Christophe Fouin

La collection du MuCEM comporte des sifflets en forme d’attelages de bœufs isolés ou accompagnés des paysans et paysannes qui les menaient, comme par exemple le sifflet de Rosa Ramalho de la collection du MuCEM (ill. 16).

Malgré la présence de deux fleuves dans la région, les bateaux n’ont pas inspiré les potiers hormis un modèle rare de barque (fig. 60).

Les saints et représentations religieuses sont également peu présents dans une société où les fêtes agraires sont pourtant prétextes à de nombreuses et éphémères réjouissances collectives. D’autres personnages secondaires de ces fêtes religieuses sont en revanche très fréquents comme les musiciens d’un groupe (uma banda, fig. 63) dont il existe des séries complètes.

Fig. 60 

Fig. 60 

Fig. 62 à 64 

Fig. 62 à 64 

Sifflet tubulaire en forme de joueur d'ocarina. Marseille, MuCEM (DMH1978.19.4). © MuCEM / Christophe Fouin

Ill. 17 : Sifflet tubulaire en forme de joueur d'ocarina.
Marseille, MuCEM (DMH1978.19.4).
© MuCEM / Christophe Fouin

Fig. 65

   Fig. 65

Les musiciens représentés par Rocha Peixoto ne portent pas encore l’uniforme des fanfaristes reproduits sur les sifflets de la collection du MuCEM qui est certainement apparu dans la première moitié du xxe siècle (ill. 17). Ces figurines de musiciens sont un des modèles les plus courants au xxe siècle et la collection du MuCEM en comporte un grand nombre.

D’autres types de figurines représentaient les dévots (fig. 64) ou encore les mendiants, caractéristiques des pèlerinages du Minho.

À coté de ces sujets locaux, des sujets extérieurs à la vie rurale ont également inspiré les potiers. Certains ont un caractère burlesque marqué comme la « Madame sur un âne », la « Madame et son mari » et même la femme seule (fig. 65).

Les potiers ont aussi représenté les diligences qui amenaient les « américains » à Braga ou les bicyclettes, rares à cette époque (fig. 66).

Les voyageurs, principalement anglais, personnages alors exotiques et peu appréciés, sont l’objet de reproductions accentuant leur richesse (fig. 67). De même les cavaliers (fig. 68), dominant les tumultes et dispersant les foules avinées18 sont représentés dans une attitude dominatrice.

Ces sujets témoignent de la verve rustique qui s’exprime dans la satire comme pour ces représentations ou dans d’autres « situations naturelles19 » (fig. 69) ou plus rarement dans quelque scène pornographique grossière.

Fig. 67

Fig. 67

Fig. 68

Fig. 68

Fig. 66

Fig. 66

Fig. 69

Fig. 69

Fig. 78 (en haut)

Fig. 78 (en haut)

Fig. 83 à 85

Fig. 83 à 85

L’accouplement du coq et de la poule est abondamment représenté au xxe siècle. Un sifflet de la collection du MuCEM illustre ce thème (ill. 18).

D’autres sujets pouvaient se rapporter à un souvenir particulier du potier. Dans d’autres cas, celui-ci suivait son imagination en allongeant exagérément les membres des figurines ou en modelant des représentations d’animaux fantastiques ou de figurines hybrides de personnages à tête d’animal (fig. 83 à 85).

Enfin, d’autres modèles courants représentent deux animaux opposés symétriquement dont les têtes se fondent dans un corps unique. Ces animaux peuvent être des oiseaux ou des taureaux (fig. 78).

Les modèles de figurines les plus fréquents sont cependant les poules représentées isolement, en groupes ou en ensembles organisés en cône. Le sifflet 2006.19.58 en est un exemple spectaculaire (ill. 18bis).

Le texte de Rocha Peixoto présente de nombreux autres modèles de figurines et les collections du MuCEM, comme celles des musées portugais ou européens, complètent ce catalogue qui se révèle d’une variété infinie. Beaucoup de ces figurines sont d’évidents symboles de fertilité comme les poules et les coqs par exemple. D’autres sont plus difficiles à interpréter, comme les figurines d’hommes chevauchant des taureaux ou parfois des lézards (ill. 19).

Sifflet tubulaire en forme de coq s'accouplant à une poule. Marseille, MuCEM (DMH1959.66.15). © MuCEM / Christophe Fouin

Ill. 18 : Sifflet tubulaire en forme de coq s'accouplant à une poule.
Marseille, MuCEM (DMH1959.66.15).
© MuCEM / Christophe Fouin

Sifflet en forme de poulailler à quatre étages. Marseille, MuCEM (2006.19.58). © MuCEM / Pierre Catanès

Ill. 18bis : Sifflet en forme de poulailler à quatre étages.
Marseille, MuCEM (2006.19.58).
© MuCEM / Pierre Catanès

Sifflet tubulaire en forme d'homme chevauchant un taureau. Marseille, MuCEM (DMH1959.66.27). © MuCEM / Christophe Fouin

Ill. 19 : Sifflet tubulaire en forme d'homme chevauchant un taureau.
Marseille, MuCEM (DMH1959.66.27).
© MuCEM / Christophe Fouin

Faut-il voir dans ces représentations de simples fantaisies de potiers ou, comme le pensaient les savants de la fin du xixe siècle, le souvenir d’anciennes figurines cultuelles ? Seules des recherches sur la production ancienne de ces sifflets permettraient de répondre à cette question en identifiant les modèles les plus anciens des sifflets de Barcelos.

1 Luis Chaves, Os barristas portugueses, Coimbra, 1925.

2 Heide Nixdorff, Tönender Ton. Tongefäßflöten und Tonpfeifen aus Europa, Berlin, Staatlicher Museen Preußischer Kulturbesitz, 1974, p. 12.

3 Acte 3, scène 2.

4 José Queiroz, Da minha terra : Figuras Gradas ; Impressões de arte, Lisbonne, Imprensa Libiano da Silva, 1909, p. 71-79.

5 Cette lettre est reproduite dans Fernando Ferraz de Macedo, « Ceramica popular portuguesa: assobios de agua », Revista Lusitana, vol. III, Porto, 1894, p. 82-84.

6 Note préambule de Eugénio Lapa Carneiro à Flávio Gonçalves, Assobios onomatopaicos dos barristas de Barcelos. Cadernos de Etnografia, no 7, 2de série, Barcelos, Museu de Cerâmica Popular Portuguesa, 1969.

7 Helder Pacheco, Matosinhos : memória e coração da feira da louça, Ed. Camara municipal de Matosinhos, 1994, p. 122.

8 Les renseignements sur la céramique de l’Alentejo sont tirés de l’étude très complète de Solange Parvaux dans La Céramique populaire du Haut-Alentejo, Paris, PUF, 1968.

9 Ibid., p. 15-19.

10 Ibid., p. 147-163.

11 Ibid., p. 163-168.

12 Dans António Rocha Peixoto, « Industrias populares. As olarias de Prado » (Portugália, t. I fasc. 2, Porto, 1900, p. 227-270), l’auteur indique à la fin de son article : Porto Octubre 1899.

13 Ibid., p. 238. Il existe deux paroisses de Barcelos nommées Santa Maria de Galegos et Sao Martinho de Galegos. Il s’agit des lieux de production désignés par « Gallegos » (orthographe d’avant la réforme de 1910) dans cette étude.

14 On peut supposer qu’il s’agit des sifflets en forme de flûte dont le MuCEM possède de nombreux exemplaires.

15 Lama est une paroisse de Barcelos.

16 António Rocha Peixoto, op. cit., p. 258.

17 Flávio Gonçalves, Assobios onomatopaicos dos barristas de Barcelos. Cadernos de Etnografia, no 7, 2de série, Barcelos, Museu de Cerâmica Popular Portuguesa, 1969, p.15.

18 Toutes ces appréciations sur les sujets des figurines sont celles de Rocha Peixoto et doivent être resituées dans le contexte de leur époque.

19 Terme utilisé par Rocha Peixoto pour désigner l’accouplement du coq.