Bulgarie

« Ballerine », sifflet tubulaire, Bulgarie, début du XXe siècle. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ill. 1 : « Ballerine », sifflet tubulaire, Bulgarie, début du xxe siècle.
Coll. particulière. © Pierre Catanès

La collection du MuCEM comporte quatre sifflets acquis en 1995 par Marie-Barbara Le Gonidec lors d’une mission dans ce pays (DMH1995.37). Leur lieu exact de fabrication est inconnu. Bien que récents, ces sifflets sont représentatifs de la production plus ancienne du pays où, au début du xxe siècle, de nombreux modèles de sifflets formant la base de figurines (personnages, animaux ou objets) étaient moulés puis peints avec un très grand soin (ill. 1).

À côté de cette production, on trouve également en Bulgarie des sifflets globulaires en terre vernissée en forme d’oiseau et de nombreux sifflets à eau en forme de cruche à haut col et anse arrière, vernis et décorés selon la technique de la gaita. Les centres de production que l’on connaît se trouvent à Oreshak, à côté de Troyan, et à Sadovets, dans la région de Pleven.

La bibliographie sur les sifflets bulgares est rare, aussi a-t-il semblé utile de donner ici le résumé d’un texte inédit1 qui dresse un panorama complet de cette production. De plus, ce texte détaille avec précision le mode de fabrication qu’on peut retrouver dans un grand nombre de centres potiers en Europe.

On le doit à Vergiliy Atanassov (1921–2002), spécialiste des instruments de musique bulgare qui fut membre de l’Institut de musicologie de Sofia.

Sifflets en terre cuite de Bulgarie

Introduction

Les plus anciennes traces permettant d’attester la présence de potiers sur l’actuel territoire bulgare remontent à l’époque thrace (du iie millénaire av. J.-C. au iiie siècle apr. J.-C.). Des gisements d’argile sont présents presque partout dans le pays et, par le passé, rares furent les villages sans potier. Des centres se sont développés dans les environs des villes de Shumen, Targovishte, Razlog, Gabrovo, Ruse, Sofia, Samokov, Aïtos – autrement dit un peu partout dans le pays. Mais pour diverses raisons, l’artisanat de la poterie s’est développé surtout dans certains centres. À la fin de la période ottomane (fin xixe siècle), il en existe essentiellement trois, situés dans les environs de Tran (à l’ouest), Berkovitsa (à 15 km de la frontière serbe, à la hauteur de Sofia) et Troyan (au centre, sur la chaîne du Balkan). Ce dernier est l’un des plus réputés, notamment grâce au village de Terziysko où l’artisanat potier était particulièrement développé, comme en atteste le nom d’un des quartiers appelé « Greuntchar » [littéralement « potier »].

C’est dans les années 1920 que la région de Troyan va devenir l’un des centres les plus connus pour la production de jouets d’enfants en terre cuite, et le monastère de Troyan (établi vers 1600) un point de ralliement important à l’occasion de la fête de la Mère de Dieu, figure protectrice du monastère, mais aussi pour d’autres grandes fêtes religieuses qui donnaient l’occasion d’organiser des foires. Il était d’usage, pour l’adulte qui revenait du monastère de Troyan, d’offrir un sifflet aux enfants de la maison. Assenova rapporte en 1884 un témoignage intéressant : « Dans le village de Svilena Poliana, qui est aujourd’hui un des quartiers de la ville d’Apriltsi, on fabriquait des jouets appelés pikliouvtcheta. L’artisan perçait un trou sur le dessus et un au-dessous, pour faire la flûte. Les enfants le remplissaient d’eau et le portaient à la bouche. Cela criait à s’en déchirer, comme une anche de cornemuse et en même temps, pissait [ce dernier verbe évoque l’eau qui sort de la cruche quand on souffle fort]. »

Cela dit, les sifflets en terre cuite n’étaient pas uniquement des jouets d’enfants. Ils étaient présents dans de nombreux rites destinés à conjurer le mauvais œil, grâce à leur capacité sonore. Mais ces traditions liées au sifflet – comme à l’ocarina d’ailleurs, également vendu à l’occasion des foires – ont commencé à disparaître à partir des années 1930.

Extraction et préparation de l’argile

En bulgare, l’argile se dit glina, d’où l’adjectif glinen, et de là glinena svirka pour désigner aujourd’hui le sifflet [qui signifie littéralement « flûte en glaise », pour conserver à glina sa proximité avec notre mot « glaise », lui-même proche de l’anglais clay].

L’argile utilisée pour la fabrication des sifflets est locale, ainsi que le kaolin qu’on y ajoute. Selon sa provenance, cette argile est différemment colorée, en fonction des minéraux présents dans les gisements, qui varient d’un endroit du pays à l’autre. L’argile cuite est appelée par les potiers « crâne en céramique ».

L’argile se trouve dans des gisements appelés gnilnik exploités à ciel ouvert. Pour l’extraire, on utilise une houe et une pelle. L’extraction se fait le matin ou en fin de journée, sauf pendant l’hiver. Les morceaux de glaise sont mis en forme comme des bols, c’est-à-dire sous une forme arrondie et creusée, et laissés à l’air pour sécher dans la carrière elle-même. Après un certain temps, les potiers arrosent l’argile avec de l’eau pour qu’elle se relâche, ils la pétrissent et la façonnent en boules de dix à quinze kilos (ill. 2). Celles-ci sont ensuite emportées dans l’atelier où se trouve une fosse appelée également gnilnik. On y met les boules que l’on humidifie et qu’on couvre avec des tissus humides. Plus longtemps elles restent dans cette fosse, meilleures elles sont.

L’argile se travaille ensuite à la main et à la machine. On commence d’abord avec un outil en fer appelé tcheraslio, permettant de briser la boule d’argile. Puis on la pétrit manuellement sur une table en bois brut appelée tezgiah, un mot d’origine persane pour désigner un plan de travail dans un atelier. Cela permet d’extraire les éléments étrangers à l’argile tels que des petits cailloux par exemple. Puis on lui donne la forme de rouleau que l’on débite au fil à couper le beurre et que l’on pétrit à nouveau afin d’enlever les dernières impuretés. L’argile propre est ensuite travaillée avec l’aide d’une kalomelka ou kalobeurkatchaka (ill. 3), sorte de tonneau à l’intérieur duquel se trouvent des pales sur un axe, et qui est tournée par un homme ou un cheval. L’argile est alors prête à être utilisée.

Extraction des boules d’argile. © Fondation Vergiliy Atanassov, Sofia, Bulgarie

Ill. 2 : Extraction des boules d’argile.
© Fondation Vergiliy Atanassov, Sofia, Bulgarie

Travail de l’argile avec l’aide d’une kalomelka. © Fondation Vergiliy Atanassov, Sofia, Bulgarie

Ill. 3 : Travail de l’argile avec l’aide d’une kalomelka.
© Fondation Vergiliy Atanassov, Sofia, Bulgarie

Fabrication des sifflets-figurines

La fabrication de ces sifflets se fait soit à la main, soit en utilisant un moule. La première manière est bien sûr la plus ancienne et la seule utilisée jusqu’à l’époque moderne. De nos jours, seuls certains détails sont faits ou terminés à la main. C’est le cas de l’embouchure (de l’anse et du bec verseur si c’est un sifflet à eau). Les parties ajoutées sont assemblées sur la forme principale encore molle avec du mekish, nom donné à la barbotine, soit de l’argile avec 30 à 35 % d’eau.

Le moule en plâtre est appelé forma ou kaleup (ill. 4 et 5).

Moule en plâtre (forma ou kaleup) pour la fabrication des sifflets en forme de coq. © Fondation Vergiliy Atanassov, Sofia, Bulgarie

Ill. 4 : Moule en plâtre (forma ou kaleup) pour la fabrication des sifflets en forme de coq.
© Fondation Vergiliy Atanassov, Sofia, Bulgarie

Moule en plâtre (forma ou kaleup) pour la fabrication des sifflets en forme de cheval. © Fondation Vergiliy Atanassov, Sofia, Bulgarie

Ill. 5 : Moule en plâtre (forma ou kaleup) pour la fabrication des sifflets en forme de cheval.
© Fondation Vergiliy Atanassov, Sofia, Bulgarie

Le potier utilise de l’argile dite « plastique » car elle contient 16 à 30 % d’eau. Il étale cette argile dans les deux moitiés du moule de façon à ce que rien ne dépasse de la forme en creux (ill. 6). Il réunit les deux parties du moule l’une contre l’autre et maintient en pressant les deux côtés (ill. 7) pendant que le plâtre absorbe l’humidité de l’argile. Le moule peut alors être ouvert. Mais il faut laisser sécher encore un peu avant de démouler (ill. 8). Le potier atténue ensuite les parties jointives en les lissant. C’est alors qu’il forme le canal d’air et la fenêtre qui permettront au sifflet de sonner. Ensuite, on laisse reposer le sifflet pour qu’il durcisse. Ainsi sont réalisés toutes sortes de sifflets, ballerines, pistolets, coqs, grenouilles, lapins, chevaux, cavaliers, avions, etc.

Remplissage du moule. © Fondation Vergiliy Atanassov, Sofia, Bulgarie

Ill. 6 : Remplissage du moule.
© Fondation Vergiliy Atanassov,
Sofia, Bulgarie

Moule et contre moule. © Fondation Vergiliy Atanassov, Sofia, Bulgarie

Ill. 7 : Moule et contre moule.
© Fondation Vergiliy Atanassov,
Sofia, Bulgarie

Démoulage du sifflet. © Fondation Vergiliy Atanassov, Sofia, Bulgarie

Ill. 8 : Démoulage du sifflet.
© Fondation Vergiliy Atanassov,
Sofia, Bulgarie

Fabrication et fonctionnement des sifflets à eau

La fabrication de ces petites cruches appelées « rossignolet » (en référence à leur son) se fait au tour comme tout autre récipient sphérique. Comme dit plus haut, le bec sifflant et l’anse sont faits à la main et ajoutés avec de la barbotine.

Le terme de vodečna svirka [littéralement « flûte à eau » en bulgare] parle de lui-même. En l’absence d’eau dans le récipient, on obtient un son uniforme. L’eau permet d’obtenir les trémolos du chant du rossignol. Le niveau de l’eau doit être suffisant pour couvrir le tube sifflant qui entre dans la cruche et l’intensité du souffle doit être assez forte. Bien qu’ils soient couverts par l’effet trémolo, trois sons peuvent être identifiés, un son quasi stationnaire, un ton haut et un ton bas. Il faut noter que ces sifflets à eau ont été utilisés par des compositeurs tels que Haydn et Mozart dans des pièces pour enfants.

Séchage, cuisson et décoration

Les sifflets sont mis dans le grenier sous le toit en tuiles, afin de sécher complètement. L’été, ils y sont laissés durant cinq jours, voire plus si le temps est humide.

La cuisson est dite izpalvane [de palvam, « allumer »]. Elle se fait dans un four de ce type (ill. 9), dit « four ouvert » car il n’a pas de grande cheminée fermée à la différence de celui dit « fermé » (ill. 10). Le four est construit dans la cour de l’atelier du potier ou à proximité, et très rarement dans l’atelier lui-même en raison des risques d’incendie.

Four de potier dit « fermé ». © Fondation Vergiliy Atanassov, Sofia, Bulgarie

Ill. 9 : Four de potier dit « fermé ».
© Fondation Vergiliy Atanassov,
Sofia, Bulgarie

Four de potier dit « ouvert ». © Fondation Vergiliy Atanassov, Sofia, Bulgarie

Ill. 10 : Four de potier dit « ouvert ».
© Fondation Vergiliy Atanassov, Sofia, Bulgarie

La porte du four se dit vitlo [littéralement « hélice »]. Le potier met du bois de hêtre et de la braise. Le feu doit être faible au début et se renforcer progressivement afin que les poteries ne cuisent pas de manière brutale. Dans le cas contraire, elles se tordent, voire se cassent. La cuisson douce doit durer cinq à six heures. Le feu est alimenté ensuite avec du bois de chêne. La cuisson plus forte doit ensuite durer dix à douze heures. Sort alors de la cheminée une épaisse fumée noire. Après vingt-quatre heures de feu ininterrompu, la fumée diminue. Cela indique que les poteries sont izpalneni, « cuites » [en bulgare standard, le terme serait izpetcheni]. On laisse le four refroidir pendant deux à trois jours avant de sortir les poteries appelées alors tcherepi, pour les rapporter à l’atelier. Les tcherepi sont toutes de la même couleur naturelle, rouge-marron.

Traditionnellement, l’utilisation de la glaçure est assez rare. On pratique plutôt la technique de l’engobe. Pour les sifflets-figurines, les potiers utilisent le pinceau qu’ils doivent savoir manier avec habileté.

1 Titre original : Glineni muzikalni instrumenti [Instruments de musique en terre cuite], tapuscrit non publié, 1988. Résumé et traduit par Marie-Barbara Le Gonidec. Nous remercions vivement la Fondation Vergiliy Atanassov qui nous a autorisés à utiliser ce texte inédit. Les informations entre crochets sont ajoutées par nous.