Préface

Ce catalogue présente plus de cinq cent trente sifflets en terre cuite provenant de toute l’Europe, dans une aire de diffusion qui va de la Scandinavie à la péninsule Ibérique, et des Balkans à la Russie. Il réunit les deux grandes collections qui constituent la base du musée : celle, française, de l’ancien musée national des Arts et Traditions populaires (MNATP) et celle du département Europe du musée de l’Homme (MH).

Publiées en ligne, ces collections sont exposées d’une manière attractive et presque ludique qui leur convient tout à fait. Ce mode d’édition offre en effet un double avantage : tous les sifflets peuvent être présentés en couleur, ce qui est indispensable pour ces petites figurines fabriquées dans un matériau malléable et souvent recouvertes de vernis colorés. Dans les multiples formes qu’elles revêtent, les figurations d’oiseaux sont les plus fréquentes. Et c’est une surprise qui nous attend quand, de certains sifflets, surgissent les trilles mélodieux du rossignol ! Car c’est là l’autre avantage des publications électroniques : entendre certains de ces objets dont la principale fonction est d’être sonore.

Le musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM), qui vient d’être inauguré à Marseille, ne pouvait commencer à valoriser ses collections de manière plus pertinente puisque, parmi elles, figurent des tarraieto. Ils constituent, avec le santon, un des éléments essentiels du patrimoine provençal. Diminutif de tarraio qui désigne les poteries en terre cuite vernissée, la « tarraïette », en français, est en effet une terre cuite miniature servant dans la dînette des enfants. Certaines sont sifflantes, comme le rossignol de terre (lou roussignòu de tarraio) qui est une gargoulette munie d’un système de sifflet. Remplies d’eau, elles donnent ce son qui rappelle le chant de l’oiseau. Vendues à la foire de la Saint-Jean à Marseille, le 21 juin – qui est aussi de nos jours la fête de la musique –, les tarraïettes étaient fabriquées à Aubagne et à Vallauris, centres bien connus pour leur poterie.

Pour un musée de l’Europe et de la Méditerranée, il est de bon augure également de montrer des collections représentatives de l’unité de cet espace culturel et de son ancienneté. Les plus anciens sifflets en terre que l’archéologie a mis au jour sont datés de 4 500 ans avant notre ère. Ils proviennent de Roumanie (site de Hârşsova) et témoignent de l’utilisation de ce matériau malléable pour façonner des figurines telles qu’on peut en trouver dans des sites néolithiques du Croissant fertile, berceau oriental de notre civilisation. Par la faculté qu’ils offrent de communiquer à distance, pour avertir d’un danger ou pour signaler sa présence – à l’instar des grelots et autres objets sonores –, ces sifflets protohistoriques auraient pu jouer le rôle d’amulettes protectrices d’autant plus efficaces qu’elles peuvent personnifier des figures mythiques. À une époque plus récente, leur présence dans certains des rituels qui rythmaient les sociétés paysannes, et notamment les rites de fertilité, montre que leur pouvoir prophylactique primait sur leur rôle ludique auquel la société contemporaine les réduit désormais.

Réalisé grâce à Pierre Catanès, spécialiste incontesté des sifflets dont les connaissances sont recherchées des archéologues et des muséologues, et avec la collaboration de Marie-Barbara Le Gonidec, responsable du département de la musique au MuCEM de 2004 à 2012, ce catalogue est l’occasion de découvrir ces « petits » objets inattendus. S’ils sont petits par la taille, grand est l’intérêt qu’ils présentent dans la mesure où ils témoignent de savoir-faire ancestraux liés à la maîtrise de la matière physique autant que sonore. Les textes sur l’organologie et l’acoustique des sifflets, sur les centres de fabrication, sur leurs fonctions sociale et symbolique permettront de s’en rendre compte. Si l’accès géographique a été privilégié pour des raisons logiques autant que pratiques, des liens dans les notices permettent de croiser divers critères de recherche (provenance, centre de production, auteur, datation, dénomination, type organologique, morphologie...).

Bruno Suzzarelli Président du musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM)